Roselyne Bachelot : « Avec 11 milliards, j’en aurais construit, des Pyramides du Louvre! »

Roselyne Bachelot : « Avec 11 milliards, j’en aurais construit, des Pyramides du Louvre! »

Paris Match |Bruno Jeudy et Benjamin Locoge

Roselyne Bachelot rue de Valois, le 14 mai. Le bureau dessiné par Pierre Paulin était celui de François Mitterrand à l’Élysée.
Roselyne Bachelot rue de Valois, le 14 mai. Le bureau dessiné par Pierre Paulin était celui de François Mitterrand à l’Élysée.Pascal Rostain

Alors que le déconfinement se poursuit, voici en intégralité l’entretien accordé par la ministre de la Culture à Paris Match mi-mai.

Paris Match. Cette réouverture est-elle la bonne?
Roselyne Bachelot. Oui je le pense. Nous avons voulu bâtir un modèle progressif pour justement éviter d’être dans la stratégie du tout ou rien, qui entrainerait un stop and go délétère.

C’est la vaccination de 20 millions de français qui vous permet cet optimisme?
Je suis raisonnablement optimiste. La vaccination fait que nous sommes dans une toute autre configuration par rapport à l’été ou l’automne 2020. Et cette réouverture n’est pas une déclaration de principe, mais bien le fruit d’une évaluation raisonnée et toujours dans le respect des mesures sanitaires.

Vous ouvrez néanmoins les lieux culturels avec une jauge limitée à 35% de leur capacité…
La réouverture totale aura lieu dans six semaines. Je tenais absolument à ce que l’intégralité des types de lieux culturels rouvrent au même moment, selon le même calendrier de progressivité pour tous. A l’exception notable des spectacles et festivals debout, puisqu’ils posent des problèmes de sécurité sanitaire tout à fait spécifiques.

En images :Avec le déconfinement, que la fête recommence!

Certains lieux ont néanmoins décidé d’attendre la rentrée de septembre pour retrouver les spectateurs…
Et nous continuerons à les aider. Parce que nous ne voulons pas punir ceux qui ne seraient pas en position de pouvoir rouvrir leurs établissements. Ce serait totalement injuste.

En 2020, le gouvernement a consenti à une année blanche pour les intermittents. Vous venez de leur donner quatre mois supplémentaires. Est-ce suffisant?
Pour les intermittents, nous allons prolonger l’année blanche voulue par le président de la République jusqu’au 31 décembre 2021, soit quatre mois supplémentaires pour bien accompagner la réouverture des lieux. Mais ça ne s’arrête pas là, nous mettons aussi en place des filets de sécurité pendant 12 mois supplémentaires c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2022. Nous ne sommes pas du tout dans le même scénario qu’en 2020, nous sommes cette fois dans une stratégie de reprise. Grâce au maintien d’une partie de l’activité, au 31 août, 75% des intermittents auront déjà reconstitué leurs droits, mais certains pour peu de temps après le 31 août et avec une moindre indemnisation… Et c’est pour ça que nous mettons en place des mesures précises et protectrices pour 16 mois. Par ailleurs, on ne pouvait pas se contenter de mesures qui auraient laissé des jeunes sur le bord de la route, pour eux on a par exemple abaissé le nombre d’heures nécessaire pour accéder au régime de l’intermittence.

Au ministère, qu’elle a eu plaisir à retrouver après trois semaines d’absence. Elle ressent toujours les séquelles du virus, mais le moral est au rendez-vous.
Au ministère, qu’elle a eu plaisir à retrouver après trois semaines d’absence. Elle ressent toujours les séquelles du virus, mais le moral est au rendez-vous.© Pascal Rostain

Le gouvernement a investi énormément d’argent dans le secteur culturel depuis le début de la crise. Pourtant les artistes ne sont pas contents, ils vous brocardent sur les réseaux sociaux, sur les plateaux de télévision. Emmanuelle Béart et Vincent Dedienne, encore récemment, disaient à votre sujet : «Elle ne nous a pas assez aidés». Comment vivez-vous ces attaques?
Quand un gouvernement donne 11 milliards d’euros à la culture pendant la crise, ce genre de propos est un peu hallucinant. Ils étaient sur un plateau pour faire la promotion d’un film qui sort j’imagine? Ce film a dû être aidé… Et c’est normal! Si la France reste le seul pays européen à avoir une industrie cinématographique, c’est bien parce que le gouvernement a répondu présent! En poursuivant le soutien massif à son financement et en permettant aux tournages de se maintenir grâce à un fonds assurantiel financé par l’Etat.

Des applaudissements? « Je n’ai pas ça en stock »

Vous y voyez de l’ingratitude, de l’injustice?
Je ne suis pas dans ce registre… Il y a peut-être aussi une forme de méconnaissance du fonctionnement de l’Etat et de l’aide massive qui est apportée au secteur. On m’a quand même dit un jour : «Ce n’est pas l’Etat qui nous aide mais le CNC!» J’ai dû expliquer à mon interlocuteur que c’était la même chose! Un chanteur lyrique, à qui j’expliquais combien la France avait choisi -d’une façon inédite au monde- de soutenir les artistes et le secteur culturel, m’a répondu : «Oui très bien, mais pendant la crise, vous ne m’avez pas donné d’applaudissements…» Effectivement, je n’ai pas ça en stock…

Vous auriez dû aimer les artistes un peu plus?
J’ai essayé de tous les aimer (elle rit). Vous savez il y a 620 000 personnes qui vivent de la culture en France. Mais après tout, je suis là pour prendre des coups. Je suis un soldat qui monte au front. Et le jour où ces mêmes artistes auront retrouvé leur vie normale, ils n’auront plus rien à cirer de la ministre. Oui, c’est injuste mais j’essaye de ne pas raisonner en termes égocentriques… On débat en ce moment sur le «mur de films», soit 150 films français en stock, qui vont sortir dans les prochaines semaines. C’est la preuve que les tournages ont pu continuer et qu’une partie des artistes et des techniciens ont pu ainsi travailler durant cette période!

Ce même CNC a tenté d’établir un calendrier des sorties. Mais s’est heurté au refus des studios hollywoodiens et des gros studios français.
Oui. On savait bien que ça n’allait pas marcher avec les blockbusters américains. Mais sauf quelques exceptions, la majorité ne sortira que fin août, début septembre, laissant une jolie fenêtre tout l’été pour le cinéma français. Réjouissons-nous d’avoir des films français à l’écran! Qu’aurait-on dit s’il n’y avait pas eu de films français en raison de la crise sanitaire!

Vous mettez en place un pass sanitaire dans les lieux de plus de 1000 personnes, pass auquel vous étiez au départ opposée…
Non, j’étais contre le passe vaccinal. Le passe sanitaire, c’est autre chose. Qu’est-ce qui protège soi et les autres dans un lieu collectif ? C’est soit d’avoir été vacciné, soit d’avoir été infecté et d’avoir reçu une injection complémentaire, soit de pouvoir présenter un test PCR ou antigénique. Chaque personne pourra disposer de sa preuve, via un QR code sur papier ou dans son application TousAntiCovid. Nous étudions actuellement la possibilité de connecter le billet directement avec ce QR code qui ne pourra donner que deux informations : «valide» ou «non valide».

Prenons un exemple : j’achète un billet pour le festival d’Avignon qui démarre le 5 juillet. Trois jours avant le spectacle, j’effectue un test PCR qui s’avère positif. Que se passe-t-il?
Vous ne pourrez malheureusement pas rentrer : c’est une question de responsabilité collective.

Le 29 mai vous lancez un concert-test à l’AccorHotels Arena de Paris devant 5000 personnes debout [ce concert d’Indochine s’est déroulé samedi, lire notre reportage, ndlr]. Dans quel but et pourquoi seulement maintenant?
Le 29 mai, c’est avant tout une expérimentation scientifique, proposée par une organisation culturelle et un institut de recherche que le ministère de la Culture a accompagné dans son processus de validation auprès des autorités sanitaires. Les deux concerts autorisés auront lieu à Paris et à Montpellier. Le protocole sanitaire proposé par les porteurs du projet à Marseille, qui laissait entrer des cas positifs, ne pourra pas être retenu s’il s’est pas modifié [ce concert prévu avec le groupe IAM a bel et bien été annulé, ndlr]. Le ministère de la Culture, via le Centre National de la Musique, contribue au financement du volet artistique des expérimentations. Le but des expérimentations n’est pas de conditionner la reprise de ces spectacles en grande jauge ou en configuration debout, mais bien d’avoir des informations scientifiques complémentaires pour étayer nos protocoles et ainsi permettre la reprise en toute sécurité de ces concerts et des très grands festivals comme le Hellfest, les Eurockéennes ou les Vieilles Charrues. Ceux où l’on est avec délice les uns contre les autres mais aussi où l’on fait du pogo, du mosh pit ou du stage diving -je vous laisse apprécier mes connaissances en la matière (elle rit).

Vous serez présente le 29 mai au concert d’Indochine?
Je ne pense pas. Mon état de santé ne me le permet pas.

« J’assume complètement l’héritage des années Mitterrand »

Vous avez failli mourir du Covid, quels messages avez-vous envie de passer?
D’abord que nous avons des équipes soignantes extraordinaires. Ensuite qu’il faut rester responsable. On rouvre mais ça ne veut pas dire qu’on relâche les mesures de protection. Je ne voudrais pas que ce pays se divise entre ceux qui ont subi le Covid et ceux qui sont passés à côté et qui seraient dans le déni…

Cela fait onze mois que vous êtes ministre de la Culture dans un pays privé de culture. Maintenant que la crise épidémique s’arrange, qu’allez-vous porter comme projet d’ici la fin du mandat?
Mais cette maison ne s’est jamais arrêtée! Elle a continué ses actions et ses projets. Certains pensent que lorsque la ministre de la Culture ne se rend pas aux spectacles, il ne se passe rien. Or, les chantiers lancés sont considérables : la préparation de la généralisation du pass culture, la transposition de plusieurs directives européennes très importantes pour les auteurs, les artistes et les créateurs, la refonte globale du cadre de la production audiovisuelle et cinématographique, la gestion du plan de relance, dans lequel j’ai obtenu 2 milliards d’euros pour la culture. Il y a aussi tous les chantiers de préservation du patrimoine, j’ai obtenu 400 millions dans le plan d’investissement d’avenir pour aider petites et grandes entreprises à affronter ce choc numérique. Nous avons bâti un plan de soutien massif à la presse écrite de près de 500 millions d’euros. On a également considérablement élargi le plan contre le harcèlement et les violences sexuelles et sexistes dans la culture. Tout cela en parallèle de la préparation intense de la reprise avec les différents secteurs de la culture. On n’a pas chômé! Franchement avec 11 milliards, j’en aurais construit, des Pyramides du Louvre!

Après deux tentatives infructueuses, est-ce qu’Emmanuel Macron a trouvé avec vous sa «Jack Lang» au ministère de la Culture?
J’assume complètement l’héritage des années Mitterrand, mais on n’est pas dans la même époque. Les choses ont considérablement changé. Nous sommes d’abord dans une tragédie avec cette crise sanitaire. On n’est pas dans les jours heureux du début des années 1980. Il y a ensuite une structuration du ministère de la Culture qui n’a plus rien à voir. Les politiques culturelles sont menées conjointement par le ministère et les collectivités territoriales. L’action menée en 1981 depuis Paris serait impossible aujourd’hui. On aurait des fourches devant les grilles rue de Valois. Enfin, il y a la révolution du numérique qui change tout. On est rentrés dans un nouveau monde. Je fais ce constat et je suis sure que je le partage avec Jack Lang, qui est un ami.

Que restera-t-il d’Emmanuel Macron en matière culturelle?
Il est trop tôt pour tirer un bilan, la postérité jugera. On retiendra que sous son impulsion, la France a mené pendant cette crise une politique unique au monde pour défendre et sauver la culture. On retiendra aussi l’effort sans précédent pour l’enfance et la jeunesse avec le plan 100% éducation artistique, le pass culture, la transformation de Villers-Cotterêts en cité internationale de la langue française, son engagement pour la rénovation du patrimoine, sa politique de nominations plus ouverte et plus paritaire…

Qu’avez-vous envie de voir au cinéma, au théâtre, dans les musées maintenant que les restrictions commencent à être levées?
Tout, je suis en manque! Vous savez, avant même d’entrer dans ce ministère, je suis quelqu’un qui adore sortir, en moyenne 120 à 150 fois par an. C’est mon bonheur.

« Je ne pouvais même pas lever mon téléphone jusqu’à mon oreille tellement j’étais KO »

Qu’avez-vous écouté pendant votre hospitalisation et votre convalescence?
D’abord rien. Je ne pouvais même pas lever mon téléphone jusqu’à mon oreille tellement j’étais KO. Dès que j’ai commencé à aller mieux, je me suis mise à écouter de la musique. Je me souviens être tombée par hasard sur «J’arrive» de Jacques Brel sur mon lit d’hôpital! Après je me suis passée en boucle la chanson de Muse «I belong to you» qui inclut un passage de Samson et Dalila. Ce mélange du rock et du classique en fait un de mes airs fétiches.

Pourquoi ne vous a-t-on pas vue aux Césars?
J’étais dans une loge. Les conditions de sécurité sanitaire ne me permettaient pas d’être présente dans la salle où il n’y avait absolument que les récipiendaires. Je me suis exprimée sur place, avant la cérémonie. J’ai regretté la tonalité de cette soirée et l’image donnée du cinéma français. C’était un spectacle raté. J’ai trouvé là encore qu’il n’y a pas eu un mot de remerciement envers ceux qui font un effort extraordinaire pour le cinéma.

Avez-vous des regrets?
J’aurai pu être une ministre de la Culture ordinaire. Je me souviens du documentaire d’Yves Jeuland où l’on voit François Hollande dire à Fleur Pellerin : «Tu sors tous les soirs et tu leur dis que c’est bien.» C’est vrai que ça a été parfois le lot de mes prédécesseurs. Non seulement je n’ai pas de regrets mais je me dis que j’ai beaucoup de chance d’avoir la mission de me battre pour la culture dans ces circonstances.

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