Guinée Conakry / Des militaires affirment avoir destitué Alpha Condé : la part de responsabilité de la communauté internationale.

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En Guinée Conakry, le pouvoir est en train de changer de main. Le président Alpha Condé qui avait été reconduit à la tête du pays après les élections d’octobre 2020 a été arrêté ce dimanche 5 septembre par des militaires. 

Dans une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux et à travers une déclaration diffusée par la Télévision nationale, le groupement des forces spéciales dirigé par le Colonel Mamady Doumbouya a déclaré avoir évincé Alpha Condé pour des raisons liées à la gestion du pays. 

« La situation socio-politique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits des citoyens, l’irrespect des principes démocratiques, la politisation à outrance de l’administration publique, la gabegie financière, la corruption et la pauvreté endémique (…) ont poussé  le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) à prendre nos responsabilités vis-à-vis du peuple guinéen», justifie le Colonel Doumbouya. 

C’est contre vents et marées que Alpha Condé a brigué un troisième mandat qu’il a finalement obtenu. À quel prix ? Le désormais ex-occupant du palais de Sékhoutouréya a fait taire toutes les voix contestataires, poussant certaines à quitter le pays pour leur sécurité. Le Front national de défense de la Constitution qui était en première ligne contre la « candidature de trop » de l’ancien opposant a vu nombre de ses responsables emprisonnés s’ils ne sont obligés de prendre la fuite. À cela s’est ajoutée une situation économique des plus moroses. Mais ces raisons sont-elles suffisantes pour expliquer la chute de Condé ? Les soldats qui viennent de s’emparer du pouvoir n’ont-ils pas été encouragés indirectement par des événements quasi similaires ayant eu lieu dans la région ces derniers mois ? Tout porte à le croire.

Les mauvais exemples « bénis »

Au mois d’avril dernier, le président Idriss Deby Itno a été tué au nord du Tchad par des rebelles du FACT (Front pour l’Alternance et de la Concorde au Tchad). Le lendemain, un Comité militaire de transition est installé. Le président n’est personne d’autre que le fils du défunt. Jusque-là commandant de la garde présidentielle, Mahamat Idriss Deby dit Mahamat Kaka est bombardé chef d’État à 37 ans. 

Le coup est dénoncé par une partie de l’armée et l’opposition. Mais il va quand même passer car le jeune général de division est soutenu par la Communauté internationale. La France et l’Union africaine. Emmanuel Macron fera le déplacement à Ndjaména pour assister aux obsèques d’Idriss Deby. À travers ce geste, le président français donnait une caution à la prise anti-constitutionnelle du pouvoir par le fils de Deby. 

Selon la constitution tchadienne, c’est le président de l’Assemblée nationale qui assure l’intérim en cas de vacance du pouvoir. Il est vrai que ce dernier a fait une déclaration pour faire part de son incapacité à assurer les fonctions de président par intérim. Le contexte de guerre contre les rebelles du FACT a servi de justification à la deuxième personnalité de l’État tchadien pour ne pas assumer les fonctions à lui dévolues. L’Union africaine (UA) a utilisé le même prétexte pour adouber Deby fils. Au Mali où une transition était en cours, le message semblait clair. 

Le Colonel Assimi Goita qui était vice-président de la transition a destitué le président Bah N’daw et son premier ministre. L’homme par qui le premier coup d’État du 18 août est arrivé, s’est retrouvé à la place du chef, avec presque l’assentiment de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le Mali est juste suspendu des instances de l’Institution sous régionale, mais ne fait l’objet d’aucune sanction économique comme ce fut le cas après le renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta par les militaires.

« Qu’est-ce que vous allez répondre à un officier guinéen qui décide de prendre les armes et de braquer l’État en mettant en avant le fait qu’un troisième mandat est illégal ? »

« Les mauvais exemples font toujours des bébés. Le tout premier bébé est né au Mali dans les conditions que nous voyons. Il est vrai que l’irruption de l’armée tchadienne à la suite de l’assassinat du président Idriss Deby (dans le nord du Tchad par les rebelles du FACT) est un mauvais exemple prôné par la communauté internationale à la tête de laquelle la France. C’est tout à fait regrettable qu’une grande nation mette en avant des questions de sécurité pour justifier la violation du droit. Ce qui n’est pas possible à Paris ne doit pas l’être à Ndjaména, encore moins à Bamako. À côté de cette communauté internationale, cette communauté de chefs d’État africains à la tête desquels celui qui représente l’Union africaine, le président congolais (Félix Tshisekedi) qui prônait également que ce qui s’est passé au Tchad est quelque chose dont il faut s’accommoder. Troisièmement, les entités de l’Union africaine à la tête desquelles le président de la Commission, qui a été très peu bavard sur le Tchad mais qui l’est encore plus sur le Mali parce que passant en revue les deux exemples qui ont une parfaite similarité. Que des officiers militaires décident de prendre l’État à leur charge et d’en faire ce qu’ils veulent, les questions de principe sont battues en brèche aujourd’hui. Cette situation est d’autant plus insupportable que toute la sous-région qui entoure le Mali ne donne pas de la voix. Le Président Macky Sall est muet. Le Président du Burkina Faso est muet. Le Président ivoirien ne parle pas, la Guinée, n’en parlons pas. Le Niger est loin de tout cela… Mais on ne peut pas laisser une situation pourrir en République du Mali et penser que l’on peut se sauver assez facilement. La Conférence des chefs d’États de la CEDEAO doit être appelée en extrême urgence pour évaluer la situation du Mali à l’aune du droit et pourquoi pas, prendre des mesures assez coercitives contre cette junte militaire en lui rappelant que la violation du droit n’est pas quelque chose dont on peut s’accommoder et que le retour à un ordre normal doit permettre de donner des gages certains quant à l’issue de cette tradition malienne », dénonçait dans un entretien avec Dakaractu l’ancien ministre du Mali, Mamadou Ismaïla Konaté.

Dans le même entretien, l’avocat inscrit aux barreaux de Paris et de Bamako alertait sur les risques de contagion dans la sous-région. « Qu’est-ce que vous allez répondre à un officier guinéen qui décide de prendre les armes et de braquer l’État en mettant en avant le fait qu’un troisième mandat est illégal ? Qu’est-ce que vous allez répondre également à des officiers en Côte d’Ivoire ou dans d’autres pays qui vont évoquer le même argument ? Nous assistons aujourd’hui à la résurgence des coups d’État qui s’étaient arrêtés ou se sont atténués depuis les années 90, l’année de l’appel de la Baule et l’année des Conférences qui ont été appelées à cette époque-là pour remettre en place un nouveau dispositif constitutionnel africain et pour rappeler que c’était un acquis que la prise du pouvoir par la force était totalement illégale », prévenait l’ancien garde des sceaux du Mali dont les craintes se sont malheureusement vérifiées avec ce qui se joue actuellement en Guinée Conakry.

Au Mali, les autorités ont assuré que les élections se tiendraient aux dates échues mais une possible prolongation de la transition n’est pas à exclure.

Le changement anticonstitutionnel en cours en Guinée Conakry risque de détourner le regard de la communauté internationale sur le Mali. Ce qui devrait donner de la marge de manœuvre au Colonel Assimi Goita en quête de légitimité pour beaucoup de maliens.

En même temps, l’UA, la CEDEAO et les puissances internationales disposent d’une occasion en or pour taper du poing sur la table. Sans quoi, c’est un signal fort donné aux « colonels » des autres pays limitrophes pour goûter aux délices du pouvoir.

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