Affaire Halimi : un projet de loi sur l’irresponsabilité pénale pour «combler» un «vide juridique»

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Le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a annoncé ce dimanche la présentation fin mai en Conseil des ministres d’un projet de loi visant à «combler» un «vide juridique», après que la Cour de cassation a confirmé l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi, sexagénaire juive tuée en 2017 à Paris. Tout en entérinant le caractère antisémite du crime, la plus haute juridiction judiciaire avait confirmé le 14 avril l’abolition du discernement du meurtrier, pris d’une «bouffée délirante» lors des faits selon sept experts consultés. Cette décision a suscité une vive émotion et une très forte incompréhension au sein d’une partie de la communauté juive française. «Avec d’autres, je demande solennellement que cette nouvelle loi porte le nom de Sarah Halimi, afin qu’il soit inscrit dans la mémoire collective de notre pays», a déclaré dans un entretien au Journal du dimanche Francis Kalifat, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). En réaction, Emmanuel Macron a réclamé «un changement de la loi». De leur côté, plusieurs juristes reprochent au Président d’adopter la rhétorique «un fait divers, une loi».

La balle au législateur

«Conformément à la demande du président de la République, le gouvernement présentera fin mai en Conseil des ministres un projet de loi pour combler le vide juridique apparu dans l’affaire Sarah Halimi», a annoncé Eric Dupond-Moretti sur Twitter. Le ministre de la Justice s’est vu remettre en février un rapport sur l’irresponsabilité pénale, commandé un an plus tôt par sa prédécesseure Nicole Belloubet, afin de savoir si le droit actuel nécessitait d’être modifié. Selon un communiqué de la chancellerie, les conclusions des rapporteurs Philippe Houillon (LR) et Dominique Raimbourg (PS) «retenaient qu’il n’était pas nécessaire de modifier l’article 122-1 du code pénal sur l’irresponsabilité». Cet article prévoit que «n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes».

La loi ne fait toutefois pas de distinction selon l’origine du trouble mental qui a fait perdre à l’auteur la conscience de ses actes. «Or le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer», soulignait la Cour de cassation dans son arrêt dans l’affaire Sarah Halimi, renvoyant la balle au législateur. Affirmant que «la France ne jugerait jamais les fous», Eric Dupond-Moretti a estimé qu’il fallait «tirer les conséquences de la décision de la Cour de cassation» et «répondre à la main tendue», selon le communiqué du ministère. Invitée de France Info ce dimanche matin, la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a confirmé qu’une nouvelle loi sur le discernement pénal devait arriver au Parlement. «Je propose qu’on travaille d’une part sur la question du discernement mais d’autre part sur la question de la procédure de jugement», a précisé la députée LREM.

«Lecture totalement fallacieuse de la décision»

La réforme, n’étant pas rétroactive, ne s’appliquerait pas au dossier Halimi. Ainsi plusieurs rassemblements se sont déroulés ce dimanche après-midi à Paris et dans d’autres villes de France pour réclamer «justice pour Sarah Halimi». Dans les manifestations, des pancartes pointent la consommation de cannabis du meurtrier de la sexagénaire. Les experts psychiatriques, eux, affirment que celui-ci était en proie à une «bouffée délirante» quand il a tué sa voisine. La veille, dans une interview accordée au Monde, François Molins, procureur général près la Cour de cassation, avait pourtant rappelé ceci : «C’est l’abolition du discernement lors du passage à l’acte, et elle seule, qui induit l’irresponsabilité pénale. Or toute personne qui consomme de l’alcool ou du cannabis n’a pas une bouffée délirante et ne voit pas son discernement aboli.» Pas de quoi dissuader Yaël Braun-Pivet, qui a tancé sur France Info : «On ne peut pas juger les fous, en revanche, il faut bien décortiquer la responsabilité de chaque individu qui ne peut pas être exonéré du fait de son propre comportement coupable, consommation de stupéfiants ou autre.»

Cette nouvelle immixtion politique dans une affaire pénale a été critiquée par nombre de juristes. Le 20 avril, la professeure de droit pénal à l’université de Nantes, Virginie Gautron, dénonçait auprès de Libération «une lecture totalement fallacieuse de la décision de la Cour de cassation». Elle rappelait, comme Molins, que contrairement aux affirmations des uns et des autres, et notamment de Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, «le fait de consommer de la drogue ou de l’alcool et passer à l’acte sous influence de ces produits n’est absolument pas, et n’a jamais été, une cause d’atténuation ou d’abolition de la responsabilité pénale».

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