Qui est Liz Truss et quels défis l’attendent à titre de première ministre britannique? 

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Des analystes sont sceptiques sur sa capacité de répondre aux attentes des Britanniques.

Alors que les Britanniques s’inquiètent de la hausse spectaculaire du coût de la vie, une nouvelle première ministre s’apprête à prendre les commandes au 10, Downing Street. Liz Truss a-t-elle ce qu’il faut pour répondre aux préoccupations des citoyens?

Admiratrice de Margaret Thatcher

Âgée de 47 ans, Liz Truss a une longue feuille de route. Députée depuis 2010, elle a occupé plusieurs postes ministériels dans les gouvernements de David Cameron et de Theresa May. Elle a notamment été la première femme ministre de la Justice. Sous Boris Johnson, elle a été secrétaire d’État au Commerce, puis ministre des Affaires étrangères, ce qui lui a permis d’acquérir une certaine notoriété.

Dans la course à la chefferie, elle s’est positionnée nettement à droite, avec un discours axé sur la réduction de la taille de l’État et la baisse des impôts.

Prenant l’ancienne première ministre Margaret Thatcher pour modèle, parfois de façon caricaturale, elle a forcé les autres candidats à assumer des positions assez radicales, croit Matthew Flinders, professeur de sciences politiques à l’Université de Sheffield, en Angleterre.

Elle les a poussés à être plus durs sur la fiscalité, sur l’immigration, sur l’État et la bureaucratie, plus durs sur les questions européennes, même si, au fond, ils sont beaucoup plus pragmatiques qu’ils n’osent le suggérer, remarque M. Flinders.

Liz Truss a la réputation de faire aboutir ses projets, remarque Victoria Honeyman, professeure associée en politique britannique à l’Université de Leeds.

Ses partisans soutiennent qu’elle a su faire avancer ses dossiers, notamment comme ministre des Affaires étrangères, alors que ses adversaires affirment qu’elle sait plutôt faire mousser ses maigres accomplissements, note-t-elle.

Les opposants de Mme Truss soulignent, par exemple, que depuis la sortie du Royaume-Uni de l’UE, aucun accord commercial n’a été conclu avec des partenaires majeurs tels que les États-Unis, l’Inde ou la Chine, et qu’il n’y a pas de quoi se vanter d’en avoir négocié avec la Norvège, l’Australie ou les îles Féroé.

Sur le Brexit justement, alors qu’elle y était fermement opposée au départ, défendant le maintien dans l’Union, elle s’est ensuite convertie quand cette option l’a emporté. Elle change souvent d’avis, en disant « je m’adapte », explique Sarah Pickard, enseignante-chercheuse en civilisation britannique contemporaine à l’Université Sorbonne Nouvelle, à Paris. Elle n’a pas d’idéologie politique.

En fait, elle est surtout une personne opportuniste, croit la chercheuse.


Elle a ainsi modulé son message pour plaire aux membres du Parti conservateur, responsables du choix du chef. Les adhérents sont souvent plus radicaux que les députés et la population en général, donc elle s’est adaptée ces dernières semaines, en allant plus vers les extrêmes, en tenant un discours plus populiste, dit Sarah Pickard.

Que propose-t-elle aux Britanniques?

Il ne faut pas se fier à ce qu’elle a dit jusqu’à maintenant, puisqu’elle essayait avant tout de se distinguer de son principal opposant dans la course à la chefferie, l’ancien chancelier Rishi Sunak, estiment les analystes.


Mais cela risque de changer radicalement dès le 6 septembre, observe Matthew Flinders, qui s’attend à l’entendre présenter une vision beaucoup plus positive et inclusive du pays.

Ce que nous allons voir, j’imagine et j’espère, est la stratégie inverse. Après s’être déplacée vers la droite pour remporter le leadership, elle essaiera maintenant de revenir rapidement au centre et embrasser un conservatisme compatissant.

« Il y a eu beaucoup de jeu politique autour du positionnement afin de s’assurer le vote des membres du parti. Une fois que cela est réglé, tous les paris sont ouverts. Elle peut dorénavant proposer un tout nouvel ensemble de politiques, car il s’agit cette fois d’attirer le public en général. »— Une citation de  Matthew Flinders, professeur de sciences politiques à l’Université de Sheffield.

C’est également l’avis de Chris Stafford, chercheur en politique britannique à l’Université de Nottingham, qui pense que Mme Truss s’en est tenue, pour le moment, à ce que souhaitaient entendre les membres du parti.

Elle n’a pas voulu s’avancer sur des sujets épineux qui pourraient être impopulaires. On ne sait donc pas grand-chose, sinon qu’elle compte réduire les impôts plutôt que de fournir un soutien financier [comme le proposait son rival, Rishi Sunak].

La situation économique est très difficile actuellement au Royaume-Uni. Le taux d’inflation a atteint 10,1 % en juillet et la Banque d’Angleterre prévoit qu’il dépassera 13 % en octobre, soit bien plus que dans les autres pays du G7.

Taux d’inflation annuel au Royaume-Uni


C’est le sujet dont tout le monde parle, souligne Victoria Honeyman. Les gens sont très inquiets.

Liz Truss n’a pas encore expliqué comment elle pense aider les ménages à faire face à la flambée des coûts de l’énergie. La facture mensuelle de gaz et d’électricité augmentera de 80 % à partir d’octobre.

Le plafond de tarification autorisé passera de 1971 livres (2992 $) par an et par foyer, à 3549 livres (5387 $). Et ce pourrait être pire l’année prochaine.

En contrepartie, les revenus réels ont baissé de 3 % au cours du dernier trimestre. Selon un sondage YouGov, le quart des Britanniques ont dû couper dans leurs dépenses essentielles.

Le revenu disponible réel des ménages devrait chuter de 10 % au total en 2022 et 2023, soit la plus forte baisse du niveau de vie depuis un siècle, selon le centre de réflexion Resolution Foundation. Cela représenterait 3000 livres (4555 $) de moins par an pour un ménage moyen .

Le mécontentement social est intense et se traduit notamment par des mouvements de débrayage massifs dans plusieurs secteurs, dont les transports.

Pendant la campagne, Liz Truss a dit que les syndicalistes militants [tenaient] le pays en otage et qu’elle avait l’intention de mettre rapidement en place des mesures sévères pour restreindre le droit de grève et s’assurer qu’un service minimum soit garanti.

Mais elle n’a pas donné de détails sur ce qu’elle comptait faire concernant la hausse du coût de la vie. Elle a mentionné qu’elle pourrait diminuer les taxes, mais n’a jamais parlé d’un plafond énergétique à grande échelle, souligne Mme Honeyman.

Sarah Pickard n’est d’ailleurs pas convaincue par les compétences de Liz Truss en matière d’économie. Son projet de baisser les impôts est complètement décalé par rapport à la situation actuelle, estime-t-elle. Cela va surtout bénéficier aux foyers les plus aisés, parce que les moins aisés, qu’on coupe les impôts et les taxes, ça ne leur donne pas de quoi se nourrir ou chauffer la maison.

Mme Truss a récemment annulé une entrevue qu’elle devait accorder à la BBC, arguant qu’elle n’avait plus le temps. Mais c’est parce qu’elle n’est pas à l’aise pour parler d’économie, estime Mme Pickard. Sa stratégie est de ne rien dire plutôt que de dire des bêtises.


Outre la hausse du coût de la vie, la nouvelle première ministre devra s’attaquer à la situation du système de santé, en crise majeure, avec un déficit de 12 000 médecins et 50 000 infirmières. Quelque 6,5 millions de patients sont sur des listes d’attente pour obtenir des traitements médicaux.

Enfin, l’autre enjeu majeur auquel elle devra s’atteler au cours de son mandat est celui du Brexit, rappelle Chris Stafford. Définir la place de la Grande-Bretagne dans le monde et ses relations avec l’Europe va être un gros problème dont elle devra s’occuper, souligne-t-il.

Si personne ne s’attend à ce qu’elle règle rapidement tous les problèmes, il faudra par contre qu’elle réussisse à générer une perception de stabilité, note Matthew Flinders, qu’on soit au moins sûrs qu’il s’agit d’un gouvernement compétent qui sait où il s’en va.

« Elle devra s’attaquer à un nombre relativement restreint de problèmes fondamentaux, mais surtout, après le chaos de Boris Johnson, rétablir une réputation de stabilité stratégique, non seulement au Royaume-Uni, mais aussi à l’échelle mondiale. »— Une citation de  Matthew Flinders, professeur de sciences politiques à l’Université de Sheffield.

Échéance 2024

La prochaine élection générale devra avoir lieu en décembre 2024 ou en janvier 2025 au plus tard, soit cinq ans après celle qui a conduit Boris Johnson au pouvoir.

On s’attend à ce que cette échéance soit repoussée le plus possible, croit Victoria Honeyman. D’autant plus que, dans le contexte actuel, Mme Truss n’aura pas droit à une lune de miel. Un nouveau chef bénéficie habituellement d’un effet rebond, mais Liz Truss n’en aura sûrement pas, pense-t-elle. Ce sera effacé aussitôt que les gens recevront leurs premières factures de gaz et d’électricité en octobre.

Pour le moment, les travaillistes mènent dans les sondages avec 8 points d’avance sur les conservateurs (39 % à 31 %), selon un sondage YouGov mené à la fin août.

Si, en théorie, la première ministre a deux ans pour remonter la pente, c’est peu probable qu’elle y réussisse, estime Chris Stafford. Boris Johnson a fait beaucoup de dommages et je ne pense pas que Liz Truss soit la bonne personne pour recoller les pots cassés.

Tout comme M. Johnson, déplore-t-il, elle n’a aucune vision ni aucun projet pour le pays, comme pouvaient en avoir les anciens premiers ministres Tony Blair ou Margaret Thatcher.

« Avec son manque de charisme et son manque de vision d’avenir, je vois difficilement comment elle pourrait réussir. »— Une citation de  Chris Stafford, chercheur en politique britannique à l’Université de Nottingham.

L’enjeu sera avant tout de se rapprocher des électeurs, estime Matthew Flinders. A-t-elle l’intelligence émotionnelle et l’empathie nécessaires? se demande-t-il. Est-ce que les gens voudraient prendre une tasse de thé avec elle?

Theresa May n’a jamais réussi, tandis que Boris Johnson pouvait passer le test du café, du thé, de la bière… Qu’on l’aime ou pas, il a cette capacité de créer des liens, observe M. Johnson. Mais Liz Truss réussira-t-elle à communiquer avec le Britannique moyen?

Son succès dépendra d’elle, mais également de la performance du chef des travaillistes, sir Keir Starmer. Celui qui a remplacé Jeremy Corbyn en 2020 peine, lui aussi, à établir des liens avec l’électorat. Les travaillistes sont en avance dans les sondages, mais après les esclandres de Boris Johnson, ils devraient l’être bien plus que ça, souligne M. Flinders.

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