Sénégal: attention au langage politique !

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« Hey pas de gros mot ! », dit-on aux enfants quand ils se risquent de s’aventurer dans l’attirant champ de la langue trébuchante. Mais que devons-nous dire aux adultes, ceux qui devraient arborer la tunique du gendarme envers les mômes, quand ce sont eux qui s’y risquent ? Que leur dire pour les recadrer, les ramener à la raison, voire les réprimander ? Pourquoi pas la même formue qu’aux bouts de bois de Dieux. Alors disons leur : « Hey grands, pas de gros mots ! »

Au-delà d’une personne quelconque, qu’elle soit symbolique ou institutionnelle, le respect et la déférence doivent être de rigueur quand on s’adresse à elle ou parle d’elle. L’élégance dans le langage, la politesse dans la parole, la civilité dans l’expression et le respect dans les propos…ce sont autant de facteurs et de qualités devant être observés surtout dans la place publique. La parole, étant volatile et volage, devient libre et indépendante dès l’instant qu’elle est énoncée. Ce n’est pas pour rien qu’on nous intimait l’ordre de « remuer la langue trois fois dans la bouche avant de parler ». C’est une maxime peu valorisée, voire négligée, mais qui pourrait vraiment faire du bien dans une société où la langue est vulgaire, effrontée, violente et heurtant.

La place publique est devenue l’espace privilégié d’échanges de mots intenses et grinçants à nos oreilles, d’insultes et injures plus inspirantes et spectaculaires l’une de l’autres, des propos irrespectueux et vexatoires de même que des allusions inappropriées et limite dépassées. Pire encore, ceux qui devraient s’ériger en exemple vu leur popularité et leurs prises de parole fréquente dans d’importantes audiences, ce sont eux qui se permettent de laisser leur langue faucher. Alors l’oreille réceptive, si par malchance elle est greffée à la tête d’un enfant pas encore en âge de distinguer le bien du mal en quelque sorte, peut intégrer ces termes « à ne pas reproduire » et les insérer dans son vocabulaire. Le manque de respect, l’attaque verbale (gratuite dans la plupart du temps), l’atteinte à l’intégrité morale d’une personne par la parole, devienne monnaie-courante dans une société censée être de valeur et de mœurs. Petit clin d’œil au livre, carnet de voyage, de l’écrivain sénégalais Elgas intitulé « Un Dieu et Des Mœurs » publié en 2017 aux présences africaines. Un livre qui peint avec acuité et un œil acéré l’hypocrisie de la société sénégalaise totalement opposée dans la réalité à ses prétentions.

La violence est devenue le langage le plus utilisé pour supprimer le plus vieux des malentendus : le décalage entre des attentes envahissantes et des réponses insatisfaisantes ; la non adéquation entre ce que je veux et ce qui m’est donné ou imposé. L’abime entre ce que j’ai imaginé et rêvé et ce que je suis obligé de vivre. A partir de ce moment, les frustrations s’extériorisent et le souci de la forme n’entre plus en ligne de mire. Tout ce qui compte c’est de s’exprimer, de se libérer, de déverser notre bulle, de cracher notre venin…la liste des expressions est loin d’être exhaustive. Et pour dire vrai, on pourrait ne pas pouvoir leur en vouloir !

Dans le espace publique, les cours d’école, les cocons familiaux, le milieu professionnel, l’arbre à palabre…les mots sont utilisés pour disqualifiés à tort, discréditer sans raison, dévaloriser sans fondement, rabaisser gratuitement. Ce qui est plus déconcertant, c’est la facilité et le naturel avec lesquels ils sont pondus.

Le langage violent est une forme d’agression nocive, dégradante et avilissante. D’un côté, les mots ont le pouvoir de laisser des empreintes qui ont une répercussion même plusieurs années après ; non seulement par rapport au récepteur mais aussi dans la peau de l’émetteur. D’autre part, la violence dans le langage est souvent, validée et / ou légitimée socialement. Les mots ne laissent pas de traces physiques. C’est pour cela que l’impunité est souvent de mise dans ce cas. Beaucoup disent que « ils n’ont pas dit cela, qu’on a mal interprété leurs paroles ou qu’il ne faut pas prendre au sérieux leurs propos qu’ils prononcent quand ils sont énervé-e-s ». Il est évident que les mots violents équivalent à des coups, parfois très forts, dans l’âme. C’est pour cela qu’ils ne sont pas admissibles.

Trois supports de manifestations de la violence verbale les plus usités sont devenues normales, limite civilisés. Il s’agit de l’animalisation, expression claire et violente ; de l’usage de l’hyperbole pour les énergies et les ondes négatives et de la rengaine. 

Il y a des raisons de flipper, à voir l’environnement terminologique dans lequel le langage social baigne. Il ne faut pas perdre de vue que les mots ont allumé des guerres, attisés des tensions, causer des bains de sang…il suffirait qu’un seul écart de langage pour que tout bascule, c’est comme l’effet de papion.

L’heure est à l’introspection, Halte !

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