Sanoussi Diakité, enseignant-inventeur : «La crise du Covid-19 a galvanisé le génie sénégalais pour faire face au péril»

Outil indispensable dans la prévention contre le Covid-19, le masque fait partie du décor dakarois. Après avoir mis sur pied un dispositif de confection de masques, Sanoussi Diakité, président de l’Association sénégalaise pour la promotion de l’invention et de l’innovation (Aspi) et ancien directeur de l’Onfp, analyse la crise, se projette sur l’après-Covid-19 et salue l’implication des inventeurs sénégalais.

Vous avez mis au point un modèle de masque. Quelle est sa spécificité ?
Je n’ai pas mis au point un modèle de masque, mais plutôt un dispositif de confection de masque barrière, respectant la norme y afférente. Une norme Afnor a été publiée en fin mars dernier qui décrit les règles minimales à respecter pour confectionner des masques dits barrières contre le Covid-19 destinés au grand public. Cette norme donne les indications quant aux spécifications géométriques et dimensionnelles du masque. Il faut préciser pour s’en réjouir que plus tard, une norme sénégalaise se référant à la norme Afnor a été publiée sous le numéro Ns 15-014 et dont les spécifications sont identiques.
Au vu de cette norme, j’ai pensé mettre en place un dispositif de confection locale par nos artisans tailleurs de ces masques répondant aux normes donc qui protègent véritablement, selon un process et des procédures qui garantissent la qualité et la conformité. L’objectif poursuivi est à la fois de favoriser le port généralisé de masques et donc la protection des populations, de créer de l’emploi ou des revenus et même de positionner notre pays comme exportateur de masques. C’est ce dispositif qui est ma conception. Il a été installé dans certains ateliers de tailleur sous mon encadrement. Les résultats sont très positifs, car la qualité des masques dont je me porte garant est appréciée par les usagers à la fois sur la couverture étanche de la zone menton, bouche, nez et l’absence de gêne respiratoire. On a fait la démonstration que nos tailleurs, malgré qu’ils soient pour l’essentiel dans l’informel, sont capables de productions répondant à des exigences normatives rigoureuses.
Pour étendre le dispositif à l’échelle nationale, nous avons pensé initier un projet de mise en œuvre d’un système de production de masques intitulé «Un masque partout et pour tous» au sein de l’Association sénégalaise pour la promotion des inventions et innovations (Aspi) dont je suis le président. Dans une logique de vulgarisation de l’innovation technologique qu’est le masque barrière, il s’agit de faire en sorte que tout tailleur, où qu’il se trouve sur le territoire national, puisse bénéficier d’un encadrement, d’un renforcement et d’un suivi qui le rendront capable de confectionner à son propre compte et dans les conditions prescrites des masques aux normes pour les populations locales, à conditions qu’il se soumette au process et aux procédures établis. Nous n’avons, pour le moment, malheureusement pas eu les moyens de dérouler ce projet qui a une essence de croissance inclusive
Je vous fais noter que notre association est la première à introduire ces masques barrières confectionnés au Sénégal à travers un don d’un lot de 500 unités au Service national de l’hygiène le 3 avril dernier.

Combien avez-vous fabriqué jusque-là ?
Les ateliers encadrés fabriquent à leur propre compte. Ils seront plus à même de répondre à cette question. Ils me rapportent toutefois qu’ils ont des commandes et que même des pharmacies ont porté leur intérêt du fait de la qualité. Ce qui m’intéresse moi, c’est de contribuer à l’essor de nos tailleurs tout en faisant en sorte que les populations aient à proximité et à portée de leur pouvoir d’achat des masques qui assurent leur protection contre le Covid-19. A ma commande, l’atelier que j’ai encadré à Kolda a confectionné plus de 1 500 masques dont 1 000 que j’ai offerts au Comité régional de gestion des épidémies par le biais du gouverneur et les autres distribués à divers acteurs comme les artisans, les commerçants, les femmes, les journalistes…

On voit un peu partout des masques à Dakar. Répon­dent-ils aux normes ?
Ceux que je vois à la télé et dans les rues ne me semblent pas conformes à la norme Ns 15-014, à vue d’œil. Or c’est la conformité à la norme qui peut garantir une protection. La norme a retenu deux types de masques barrières en tissu. Celui dit bec de canard et l’autre appelé masque à plis. Le masque à plis comporte 2 plis disposés pour former une cavité, logement de la bouche et du nez. Les brides sont disposées pour assurer une fixation stable et une bonne étanchéité canalisant l’inspiration et l’expiration qu’à travers le masque. Je vois beaucoup d’imitations des masques chirurgicaux appelés Ffp2 destinés au personnel de santé. Les masques barrières sont différents.

Quel rôle doivent jouer les techniciens dans la riposte actuelle ?
Dans la lutte contre le Covid-19, tout le monde a son rôle à jouer. C’est vrai que le médecin est en première ligne, mais le technicien industriel joue une partition d’une dimension hautement élevée. Voyez-vous, le masque, le gel ou le lave-main sont les principaux moyens utilisés pour la prévention. Leur fabrication est du ressort du professionnel en industrie. Donc dans la lutte contre le Covid-19, le technicien ou l’ingénieur industriel joue un rôle non moins important. Par exemple les actions que je mène, notamment en ce qui concerne le masque, les points de vue que je donne sur le Covid-19, je le fais sous l’angle de mon domaine professionnel, le génie mécanique.

Certains ont mis au point des respirateurs artificiels ou un système de fabrication de gel hydro-alcoolique. Qu’est-ce que cela vous fait de voir que la crise a permis de libérer le génie sénégalais ?
Cela nous conforte nous inventeurs dans ce que clamons de tout temps. Nos capacités d’invention sont inépuisables. Il suffit seulement que nous ayons confiance en nous-mêmes. Il n’y a aucun Peuple qui ne soit doté de génie. La créativité, selon l’Ompi, est la ressource naturelle mondiale. Face à un problème, une contrainte, un besoin, il est naturel chez tous les Peuples de chercher des solutions. On dit que nécessité est mère d’invention. Donc la crise du Covid-19 a non pas libéré, mais galvanisé le génie sénégalais pour faire face au péril. Les périodes de crise sont propices à la créativité parce que la crise pose un ensemble de problèmes et de contraintes auxquelles il faut trouver des solutions rapides. Généralement, l’opinion est plus attentive aux solutions en période de crise. Le Covid-19 est, dans la douleur c’est vrai, une situation qui nous oblige à ne compter que sur nous-mêmes et à puiser dans notre génie propre les ressources pour faire face au danger. Par les circonstances du Covid-19, c’est comme si on se débarrassait d’un complexe et d’une résignation que la colonisation a eu comme dessein d’installer en nous. Cheikh Anta Diop doit en être fier.
C’est pourquoi, en tant que président de l’Aspi, j’ai été sensible à l’attention que le Président Macky Sall a portée dans son discours aux initiatives créatives face au Covid-19. Il a dit que rien ne peut épuiser la force mentale d’un Peuple décidé à affronter les épreuves. Ces mots ont une résonnance particulière pour moi.

Quelles leçons à tirer de cette crise ?
C’est sûr que les leçons seront nombreuses, mais je pense qu’il est trop tôt d’en parler. Mais déjà, on peut dire que l’une des leçons à retenir sera qu’aucun doute ne persistera sur le fait que nous avons toutes les ressources endogènes pour nous développer. Je pense également que la leçon d’humanité, d’humilité et de respect de son environnement et de son prochain sera retenue. Le Covid-19 a mis à nue les faiblesses et la vulnérabilité des uns considérés comme forts, et révélé la force et la résilience des autres considérés comme faibles. Les mythes et les condescendances s’effondrent.
Mais ce que je retiens le plus, c’est que le Covid-19 aura donné un coup de frein à la course endiablée et déshumanisée du monde que personne n’était à mesure d’arrêter. On voyait bien que la marche du monde était celle d’une roue en rotation libre sous l’effet d’une inertie et d’une force auto générée, à une vitesse constamment accélérée. On allait dans le mur. La banalisation du crime, des enfants égorgés, l’apologie de contre valeurs humaines, les massacres de communautés religieuses, l’arrogance, le réchauffement climatique pour ne citer que ces dérives. Il fallait bien que quelque chose arrête cela.

A quoi doit ressembler l’après-Covid-19 au Sénégal ?
Les spécialistes parlent d’une nouvelle carte des relations internationales avec un meilleur positionnement de l’Afrique. Comme on dit, rien ne sera comme avant. L’après-Covid-19 sera caractérisé, à mon avis, par la remise en question de bon nombre de théories, de certitudes établies. On devrait s’attendre à que de nouvelles pensées, théories du développement voient le jour comme ce fut le cas au lendemain des crises antérieures. Si par le passé l’Afrique n’avait pas pu jouer sa partition du fait de contingences historiques, cette fois-ci l’Afrique a les armes, les moyens politiques et institutionnels de créer l’espace d’expression pour ses intellectuels dans un débat mondial et d’installer par-là son leadership.

N’est-ce pas le moment de changer de paradigme en privilégiant davantage la formation professionnelle ?
C’est clair, nous devons nous doter d’une force de travail qui soit la plus productive possible pour porter les enjeux et tirer profit de ce nouvel ordre que les spécialistes prédisent. Pour cela, l’accent devra davantage être mis sur la formation professionnelle dans une logique non pas scolaire, mais de préparation au travail et aux fonctions de production qu’appellent les exigences à venir. Les exigences de demain seront assurément la production et la transformation de nos productions par nous-mêmes avec des moyens développés par notre génie à partir de notre patrimoine historique de connaissances, de savoir-faire revisité. La formation professionnelle devra être à la pointe dans ce processus, car les fonctions de travail exigeront à la fois la maîtrise professionnelle articulée, souple et réactive aux évolutions de la production et la capacité d’innover. La formation professionnelle devra donc mettre l’accent sur l’aptitude au travail correspondant et s’adaptant à la situation avec une attention accrue à la créativité, renouant le fil avec le legs des anciens. Il y a un nombre impressionnant de techniques et de procédés professionnels dans notre patrimoine historique que les générations actuelles ne connaissent pas et qui pourtant pourraient être à la base d’innovations porteuses de valeurs. Dans l’avenir, j’espère bien élaborer une proposition que je soumettrai au Président Macky Sall, portant sur la formation professionnelle post-Covid-19.

Le Président a décidé d’assouplir les mesures restrictives. N’est-ce pas un peu tôt ?
Ce que j’ai compris, c’est que ces mesures d’assouplissement sont la résultante d’un processus dans le temps et d’une analyse globale. Elles tiennent compte des chiffres au terme de 2 mois de vécu avec la pandémie. Comparativement à des pays autour de nous ou dans d’autres continents, il apparaît que notre équipe médicale a montré une grande efficacité dans le traitement des cas avec un nombre de décès limités, Dieu merci. Nous aurons des choses à apprendre à des pays dits développés. D’un autre côté, les spécialistes disent que le virus sera parmi nous pendant encore quelques mois. Ensuite, l’autre chose à considérer, c’est que le confinement n’a pas donné de résultats meilleurs, comparativement aux pays qui ont choisi à la place d’autres moyens comme le port généralisé du masque. Tout cela me fait dire que le maintien ou le durcissement des mesures restrictives ne garantit pas l’amélioration des résultats. D’ailleurs, j’ai toujours considéré qu’on devait généraliser le port du masque. Dans cette phase, le Président Macky Sall mise principalement sur le port du masque. Il permet de couper la chaîne de contamination. Avec les masques qu’il va distribuer, on devrait voir des résultats dans les jours à venir, à condition que les gens les portent de manière à se protéger sérieusement. A mon humble avis, le masque est la clé de la situation. Evidemment, je parle du masque aux normes.

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