Libération révèle, documents à l’appui, que Marylis Btp de l’homme d’affaires ivoirien Adama Bictogo, cadre du parti d’Alassane Ouattara, ne figurait pas parmi les entreprises consultées lors du lancement, selon l’approche clé en main, de l’Avis d’appels d’offres restreint (Aor) pour la construction et l’équipement de la deuxième Université de Dakar. Après les autorisations de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) et de la Direction centrale des marchés publics (Dcmp), six entreprises- Yildirim holdings A.s (Turquie), Eiffage construction (France), Suma Turkey Buyukdere Cad (Turquie), Jarquil (Rabat, Maroc), China machinery Engineering Cooperation (Chine) et Geiger international (Autriche)- étaient invitées à déposer des offres avant que le groupement Yildirim holding As/Eti Béton/Touba Matériaux ne soit déclaré adjudicataire du marché pour 59, 882 milliards de Fcfa. Mais que s’est-il donc passé par la suite ?
Le 16 mars 2016 Baba Ba et le recteur s’inquiètent déjà « des promesses non tenues en matière d’avancement des travaux ».
Ce 16 mars 2016 se tient encore la traditionnelle réunion de chantier sur l’état d’avancement du projet de réalisation de l’Université Amadou Makhtar Mbow. Le procès-verbal de réunion numéro 11/2016 obtenu par Libération livre les secrets de cette rencontre : « La séance a été ouverte par Monsieur Baba Bâ du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche qui a souhaité la bienvenue à tous les participants avant de faire un petit résumé de la visite de chantier. Il a mis en exergue la récurrence des promesses non tenues en matière d’avancement des travaux. Monsieur le recteur Omar Guèye, partageant le même sentiment que monsieur Baba Bâ, demande que la réunion du jour serve à régler une bonne fois pour toutes ce problème ».
Quatre ans après cette réunion, rien n’a été réglé « une bonne fois pour toutes ». Et mieux, comme nous le révélions hier, l’Etat a résilié, par courrier en date du 27 décembre 2017, le marché qui était confié au groupement Marylis Btp, Touba Matériaux et Monasica. Entre temps, 30 milliards de Fcfa ont été décaissés pour une université fantôme, avec des travaux exécutés à hauteur de 22% alors que l’Université devait être fonctionnelle depuis la rentrée 2017.
Adama Bictogo de Marylis – défendu hier dans la presse ivoirienne par « Diop Mame M.B, citoyenne sénégalaise » (interdit de rire !)- se plait à dire, que le groupement auquel sa société appartient a « gagné le marché clé en main après un appel d’offres international lancé par l’Etat du Sénégal ». Or, l’entreprise de l’homme d’affaires ivoirien, indemnisé à hauteur de 12 milliards de Fcfa par le Sénégal après l’arrêt de la production des visas d’entrée, ne figurait même pas dans la…consultation restreinte, comme l’attestent tous les documents de la procédure.
L’Armp autorise le lancement de la consultation restreinte le 5 septembre 2014.
C’est par lettre confidentielle N°002112/Armp/Crd/dg/Cei, en date 05 septembre 2014, que l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) a autorisé au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, le lancement, selon l’approche clé en main, de l’avis d’appels d’offres restreint (Aor) pour la construction et l’équipement de la deuxième Université de Dakar. Cette autorisation de l’Armp a été suivie par celle de la Direction centrale des marchés publics (Dcmp) qui a béni la procédure par courrier N° 4902/Mefp/Dcmp/2) du 10 septembre 2014 obtenu par Libération.
Six entreprises consultées après l’appel d’offres restreint, pas de trace de Marylis Btp.
Sur la base de l’avis d’appel d’offres restreint, 6 sociétés ont été consultées à savoir Yildirim holdings A.s (Turquie), Eiffage construction (France), Suma Turkey Buyukdere Cad (Turquie), Jarquil (Rabat, Maroc), China machinery Engineering Cooperation (Chine) et Geiger international (Autruche). Nulle trace donc de Marylis Btp ou de son «partenaire portugais», Monasica. L’avis de consultation restreinte précisait toutefois : «les groupements entre les candidats présélectionnés ne sont pas autorisés. En vertu de l’article 52 du décret n°2011-1048 du 27 juillet 2011, les entreprises figurant sur la liste restreinte devront obligatoirement constituer des groupements avec des entreprises nationales ou communautaires ». En clair, les entreprises sélectionnées allaient travailler avec une société basée au Sénégal ou dans l’espace Uemoa.
Le groupement Yildirim holding As/Eti Béton/Touba Matériaux déclaré adjudicataire pour 59, 882 milliards de Fcfa.
Après dépouillement, le marché a été attribué au groupement Yildirim holding As/Eti Béton/Touba Matériaux, composé de deux entreprises turques et une sénégalaise, pour un montant de 59 882 135 201%C2%A0882%C2%A0135%C2%A0201 FCFA Ttc. Un contrat clé en main (n°T0439/15) est ainsi signé avec le groupement pour un délai d’exécution de 24 mois. Pourtant, le 16 mars 2016, c’est l’Université Amadou Makhtar Mbow qui balance un message laconique sur son site internet (voir capture): «Les travaux ont été retardés par un changement intervenu dans la composition du groupement d’entreprises ; en effet, les entreprises turques Yildirim et Eti Béton ont choisi de se retirer à l’amiable et ont été remplacées par Monofasica et Marilys Btp ». Rien de plus.
« Les entreprises turques ont choisi de se retirer à l’amiable et ont été remplacées par Monofasica et Marilys Btp », balance l’université fantôme sur son site internet.
Que s’est-il passé ? Comment ce jeu de ping-pong est-il possible dans un marché où on parle de 60 milliards de Fcfa ? Pourquoi après le « retrait à l’amiable » des Turcs, on ne s’est pas tourné vers les 5 autres entreprises figurant sur la liste restreinte ? Que veut dire au fait «retrait à l’amiable» dans ce contexte ?
Des questions qui devraient intéresser tous les militants de la transparence. Car, peu avant ce «retrait» et en marge du séjour du roi du Maroc au Sénégal, en mai 2015, Othman Benjelloun de Bmce Bank signait avec les autorités une convention de 60 milliards de FCfa liant l’Etat du Sénégal, Marylis Btp et Bank of Africa Holding dans le cadre du financement de la construction de la seconde Université à Dakar. Cerise sur le gâteau : la convention a été signée avec un taux de financement de 6% pour un taux maximum fixé dans les termes de référence du marché à…3%. N’empêche, l’idylle a volé en éclats car aujourd’hui, Bank of africa refuse tout décaissement en faveur de Marylis Btp et l’a clairement fait savoir aux autorités étatiques.
La « bonne étoile » de Monofasica
Libération peut attester d’un autre fait troublant qui entoure le marché de construction de l’université de Diamniadio. Monofasica, la «société portugaise» qui est en groupement avec Marylis, a été fondée quelques… jours avant le changement intervenu dans le choix du groupement. En effet, elle a été montée à Dakar le 21/01/2016/01/2016 , sous le registre de commerce numéro Sndkr2016b1611. Son dirigeant est un certain Antonio Manuel Martins Nunes. Comprenez que lorsque l’appel d’offres restreint était lancé, Monofasica, dont on a vanté «l’expérience en Mozambique et en Angola» jusqu’à nous pomper l’air, n’existait pas.