Manifestation à Paris contre la réforme des retraites : « On va arriver à un point de rupture » 

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À l’appel des huit principaux syndicats français, unis pour la première fois depuis 2010, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté jeudi à Paris pour protester contre la réforme des retraites du gouvernement.

À Paris, les syndicats ont réussi leur pari. Dès la sortie d’une des rares stations de métro restées ouvertes malgré une grève massive, une foule dense se dirigeait, jeudi 19 janvier, vers une place de la République noire de monde.

Cheminots, surveillants pénitentiaires, chauffeurs VTC, douaniers, universitaires, infirmières… À l’appel des huit principaux syndicats français, les manifestants étaient très nombreux – 400 000 selon la CGT, 80 000 selon la préfecture – à défiler dans le calme à Paris pour dire leur opposition au recul de l’âge de la retraite à 64 ans. 

« La situation est grave »

Coincé dans la foule, Maxime brandit un des drapeaux rouges du syndicat Force ouvrière. Ce surveillant pénitentiaire de 24 ans travaille à Fleury-Mérogis, l’une des plus importantes prisons de la région parisienne, et il est venu manifester pendant un de ses jours de congé. « Surveillant pénitentiaire, c’est un métier usant, explique-t-il. À Fleury, on peut être confrontés à des détenus jeunes et violents. Ils doivent parfois être maîtrisés, et ce n’est pas possible de le faire efficacement après 60 ans. Moi, je viens d’arriver dans le métier, et le rythme est déjà difficile à accepter. Nous avons des contraintes horaires, c’est fatigant physiquement et psychologiquement… Je trouve que cette réforme est déraisonnable. On va arriver à un point de rupture. »

Fabien Beiersdorff secrétaire de la CGT Disney : « on ne veut pas de la réforme, c’est déjà difficile à Disney, on est ouverts 7j/7, tous les jours de l’année, de nuit comme de jour. On n’a jamais vu une princesse bosser à 64 ans ! »#ReformeDesRetraites #Manif @France24_fr pic.twitter.com/9kfpC6qhU0— Lou Roméo (@RomoLou1) January 19, 2023

Pour Élodie non plus, la saturation n’est pas loin. Infirmière de 46 ans à l’hôpital Necker, elle est venue en blouse blanche alerter sur ses conditions de travail. « L’hôpital va de mal en pis et le gouvernement se moque de nous, martèle-t-elle. On concède le Ségur aux soignants, pour finalement rallonger nos années de travail. Il faut le dire : si à l’hôpital, il n’y a plus assez de lits, c’est parce qu’il n’y a plus assez d’infirmières. Les plus expérimentées qui restent n’ont plus le temps de transmettre, la situation est grave. »

« Cette réforme est injuste, elle va toucher les plus pauvres et les femmes »

Brandissant une grande affiche « Avenir précaire, amphis déter », Marie, 27 ans, doctorante en sociologie du travail à l’université de Créteil, est là par « solidarité avec les travailleurs ». « Je suis jeune et ma carrière a commencé tard, donc la retraite, cela ne me concernera pas avant longtemps, explique-t-elle. Mais cette réforme est injuste, le gouvernement la présente comme permettant de protéger les plus précaires, mais les recherches montrent qu’elle va en fait toucher les plus pauvres et les femmes. Elle va aussi accroître les inégalités de richesse, beaucoup vont devoir partir avec des retraites incomplètes, et elle n’est pas adaptée à nos modes de travail actuels. Nous produisons de plus en plus, cela n’a pas de sens de nous faire travailler plus longtemps. « 

« Cette réforme est injuste et vise les plus pauvres et les femmes. Elle va accroître les inégalités et n’est pas adaptée à nos modes de travail, on est de plus en plus productifs ca n’a pas de sens de travailler plus longtemps »
Marie, doctorante en sociologie du travail #f24 pic.twitter.com/IrjP3EW8O6— Lou Roméo (@RomoLou1) January 19, 2023

Croisé un peu plus loin dans la foule, Frédéric Boccara, 58 ans, partage le même constat. Économiste membre de l’association Les économistes atterrés, et statisticien à l’Insee, il est venu manifester avec ses collègues grévistes. « Nous sommes bien placés pour savoir que cette réforme n’est pas justifiée, nous travaillons à l’Insee, sourit-il. Le grand problème pour financer les retraites, c’est le chômage et l’emploi, c’est là-dessus qu’il faut avancer. Il faudrait au contraire revenir à un âge de départ à 60 ans. Vous imaginez le nombre de jeunes qu’on pourrait embaucher, si on revenait à un âge de départ à 60 ans ? Ces jeunes, ils cotiseraient ! »

>> À lire aussi : « Retraites : la réforme est-elle ‘indispensable’, comme l’affirme le gouvernement ? »

« Où on en sera dans dix ans ? »

Bien emmitouflée dans sa poussette, la fille de Lydia et Farid dort paisiblement au milieu des slogans et des chants crachés par la sono des camions des syndicats. Le couple de trentenaires est venu partager sa colère. « On manifeste pour elle, elle a quatre ans, mais aussi pour nous, et pour nos parents qui travaillent encore, explique Farid, chauffeur VTC. J’ai commencé à travailler à 16 ans, j’en ai 37 aujourd’hui, quand est-ce que je vais pouvoir m’arrêter ? Là, c’est 64 ans, où on en sera dans dix ans ? On avait manifesté avec les Gilets Jaunes, et cela n’a rien donné. On espère que cette fois, cela va avancer ! »

Lydia, sa compagne, opine. « Je suis cadre dans le privé, et tout augmente. Quand j’ai commencé à travailler, je me disais qu’à trente ans, je pourrais acheter un appartement, me faire plaisir, partir en vacances. Et en fait, non, pas du tout. Où va-t-on ? Qu’est-ce qu’on va laisser à nos enfants ? »

Une manifestation calme

C’est aussi ce que se demande Jasmine, 28 ans. Avec sa pancarte « Pas de retraite sans planète », elle fait partie des nombreux à lier, dans la manifestation, retraites et écologie. « Au lieu de nous embêter avec une réforme du système des retraites, dont le déficit n’est pas urgent, développe-t-elle, je pense qu’on devrait se préoccuper de l’urgence climatique. On dit que les jeunes s’en foutent, mais moi, j’ai ’espoir, d’avoir une retraite sur planète vivable pour pouvoir en profiter. »

« On dit que les jeunes s’en foutent mais moi j’ai l’espoir d’avoir une retraite sur une planète vivable. Plutôt que de nous embêter avec une réforme qui n’est pas urgente il nous fait des mesures d’urgence pour le climat ! »
Jasmine, 28 ans pic.twitter.com/p2FY1YoQwp— Lou Roméo (@RomoLou1) January 19, 2023

Malgré la colère, le calme est de rigueur dans la manifestation. À l’exception de quelques incidents, le cortège avance tranquillement. « Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu une manifestation qui se passe aussi bien », rapporte Pauline, drapée d’un gilet jaune. « Je suis surprise, c’est vrai, et il y a aussi très peu de policiers. Je suis très en colère, et surtout effarée, de voir à quel point on n’est pas écoutés. Mais ça me fait chaud au cœur d’être ensemble ici, ça fait du bien d’être tous ensemble et de manifester. »

“J’ai mis un gilet jaune et je suis venue aujourd’hui parce que j’ai aimé ce mouvement, et que je savais qu’on serait nombreux aujourd’hui. Je ne suis pas déçue, ça fait chaud au cœur d’être ensemble ici, on a tous besoin de se réunir” Pauline #f24 #Manif19Janvier pic.twitter.com/yjDWo759pu— Lou Roméo (@RomoLou1) January 19, 2023

Une deuxième journée de mobilisation a été annoncée pour le mardi 31 janvier.

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