Canada : au Québec aussi, la langue de Molière recule au profit de l’anglais 

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De nouveaux chiffres révèlent que la langue française continue de reculer au Canada comme au Québec, tandis que le nombre de personnes dont l’anglais est la première langue parlée dépasse le million de locuteurs dans la province. Une situation inédite qui intervient dans un contexte d’intensification des efforts pour protéger la langue de Molière au Québec.

Le français « pique une fouille » au Québec, et dans tout le Canada. Une chute de la francophonie révélée par les derniers chiffres de l’agence statistique du gouvernement fédéral canadien, publiés mercredi 17 août. Ceux-ci indiquent que la proportion de Canadiens parlant français de façon prédominante à la maison est en baisse partout dans le pays (à l’exception du territoire faiblement peuplé du Yukon, dans le Grand Nord).

La croissance de la population dont le français est la première langue officielle parlée (1,6 % de 2016 à 2021) est inférieure à la croissance de la population canadienne (5,2 %). Quant à la proportion des Canadiens pour qui le français est la première langue officielle parlée, elle a diminué, passant de 22,2 % à 21,4 % en cinq ans.

La tendance n’a rien de nouveau. Le poids démographique du français au Canada est en baisse depuis 1971, et le phénomène est également observé au Québec, province francophone historique, depuis 2001, selon Statistique Canada .

La ministre fédérale des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, a qualifié les données du recensement de « préoccupantes ». Selon elle, plus que jamais, le français est menacé au Canada, y compris au Québec.

En mars dernier, dans la lignée de sa promesse de lutter contre le « déclin du français », la ministre a déposé un projet de loi de modernisation de la Loi sur les langues officielles. Parmi les pistes étudiées : la reconnaissance du français comme langue officielle du Québec, la reconnaissance du statut bilingue du Nouveau-Brunswick (province maritime de l’est), ou encore le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada.

Le français « perd des plumes » au profit de l’anglais

Au Québec, la proportion de personnes utilisant l’anglais comme première langue parlée a augmenté de 1 % en cinq ans et franchit le cap du million de locuteurs. La statistique sur la langue première parlée à la maison – indicateur le plus significatif de la situation linguistique -, montre, elle, que la population parlant anglais a augmenté de 1,2 million alors que la population parlant français n’a augmenté que de 120 000 individus, soit dix fois moins.

« Le phénomène qui sous-tend l’augmentation de l’anglais et la faiblesse de l’augmentation du français, c’est l’assimilation linguistique et un pouvoir de l’assimilation de l’anglais sans commune mesure avec celui du français dans l’ensemble du Canada », expliquait, jeudi, le chercheur et statisticien Charles Castonguay sur Radio-Canada. Près de trois millions d’allophone (personne dont la langue maternelle est une langue étrangère, dans la communauté où elle se trouve, NDLR) adoptent l’anglais comme langue principale parlée à la maison, et près d’un demi-million de francophones de langue maternelle ont adopté l’anglais comme langue d’usage à la maison, poursuit-il. À l’échelle du Canada, le français ne fait pas le poids et perd des plumes sur le plan de l’assimilation linguistique au profit de l’anglais. »

En effet, les nouveaux arrivants qui ne parlent ni français, ni anglais, tendent à se ranger du côté de l’anglais, notamment ceux qui s’installent sur l’île de Montréal où vit le quart de la population québécoise. Or, Charles Castonguay y note l’attirance croissante des jeunes francophones pour l’anglais. « Sur l’île de Montréal, 6 % des jeunes adultes de langue maternelle française déclarent avoir adopté l’anglais comme langue principale à la maison », dit-il. Ils s’anglicisent, ce qui nourrit la démographie du groupe de langue anglaise et affaiblit le poids du français sur l’île de Montréal, où la langue maternelle française a perdu 5 % entre les recensements de 2001 et 2016. « Du jamais-vu dans l’histoire », se désole le spécialiste, évoquant la vitesse et l’ampleur de la baisse.

Immigration et sous-natalité

Face à des taux de natalité insuffisants pour assurer le renouvellement de leur groupe linguistique, communautés francophone et anglophone comptent sur l’immigration pour regarnir leurs rangs.

Le maintien de l’équilibre linguistique impliquerait que la part du français dans l’assimilation globale s’élève à plus de 90 % alors qu’elle tourne autour de 50 %, explique Charles Castonguay dans son ouvrage « Le français en chute libre, la nouvelle dynamique des langues au Québec » (Mouvement Québec français). Le premier facteur du déclin du français au Québec est, selon lui, l’augmentation importante de l’immigration depuis le début du XXIe siècle. « Des immigrants qu’on peine à franciser », précisait-il déjà l’an dernier à TV5 monde.

Le gouvernement du Canada défend une stratégie en matière d’immigration ayant pour objectif d’accroître l’immigration francophone dans le pays, à l’extérieur du Québec, pour atteindre une cible de 4,4 % d’ici 2023, d’appuyer l’intégration des nouveaux arrivants d’expression française, et de renforcer les capacités des communautés francophones.

Mais malgré cette politique de sélection favorable au français, l’attrait de l’anglais demeure important et les allophones réalisent toujours des transferts linguistiques vers l’anglais, notamment du fait d’une plus grande vitalité de l’anglais sur le marché du travail.

Selon Charles Castonguay, il est nécessaire de prendre des mesures plus fermes pour redresser la situation du français sur le territoire du Québec, et plus largement du Canada où l’immigration francophone est « vouée à l’échec ». Le chercheur estime notamment préférable d’orienter l’immigration francophone vers le Québec afin que cela profite à l’ensemble de la francophonie canadienne.

Une « relance linguistique » sans effet ?

La publication du recensement intervient dans un contexte d’intensification des efforts pour protéger le français au Québec. La dernière loi linguistique, la loi 96 adoptée le 23 mai dernier, va jusqu’à restreindre l’emploi de l’anglais dans les services gouvernementaux, les entreprises et dans l’espace public, faisant de l’apprentissage du français un droit et un devoir fondamentaux pour tous les immigrants et anglophones, et imposant aux commerces de privilégier le français sur leurs devantures.

Cette loi doit entrer en vigueur le 1er septembre et prévoit, notamment, que toutes les entreprises de 25 à 49 employés soient assujetties à la Charte de la langue française de 1977 (qui avait fait du français « la langue officielle » du Québec), de même que les entreprises de compétence fédérale, comme les banques. Un texte considéré comme un nouvel acte de « repli » par les anglophones, et jugé discriminatoire vis-à-vis des anglophones et allophones. 

Le débat sur la langue est donc un sujet très sensible voire explosif au Canada, pays officiellement bilingue, où des milliers de manifestants ont protesté, en mai dernier, contre la loi 96.

« C’est le début d’une grande relance linguistique », s’était, quant à lui, enthousiasmé Simon Jolin-Barrette, ministre porteur de la loi, qualifiant alors la législation de « première étape » vers un Québec plus francophone. Pour lui, les chiffres publiés mercredi par Statistique Canada démontrent « par le fait même toute la pertinence de la loi 96 », a-t-il réagi, jeudi, sur Twitter.


Lors de l’adoption de la loi, le Premier ministre québécois, François Legault, était allé jusqu’à évoquer une question de « survie », estimant que sans un encadrement linguistique de cet acabit, le Québec subirait une « louisianisation », en référence à cet État du sud des États-Unis où le français, jadis langue majoritaire, est devenu une langue quasi-disparue.

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