Côte d’Ivoire : Adama Bictogo, un homme au cœur du système Ouattara

Le numéro deux du parti présidentiel est un homme patient. Il connaît le chef de l’État depuis plus d’un quart de siècle, mais il sait qu’il n’a rien à gagner à sortir trop tôt du peloton. Politicien madré, homme d’affaires avisé, pourra-t-il un jour viser plus haut ?
Il est à l’hôtel Ivoire un peu comme chez lui. Il y passe une, voire plusieurs fois, par semaine. Pour une réunion politique, pour une rencontre officielle, pour un rendez-vous d’affaires. Mais ce qu’il préfère, c’est y jouer au tennis. Avec des piliers du pouvoir, comme Fidèle Sarassoro, le directeur de cabinet d’Alassane Ouattara, avec des responsables politiques, tel l’ancien ministre Thierry Tanoh, mais aussi avec des diplomates en poste à Abidjan. Ou comment joindre l’utile à l’agréable tout en travaillant son service.
En cette matinée à la chaleur lourde, Adama Bictogo n’est pas en short et baskets mais en costume croisé. Bien mis, comme d’habitude. Ramadan oblige en cette fin avril, il fait l’impasse sur son café matinal. Aucun souci, précise le directeur exécutif du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir). « J’ai 58 ans, je suis plutôt en forme pour mon âge. Je suis debout tous les matins à 5 heures pour faire un footing de 10 km autour de chez moi », assure-t-il.Discipliné
Quelques semaines plus tôt, cet homme d’affaires prospère arpentait les rues en latérite d’Agboville, la localité du sud du pays qui l’a vu naître. En campagne pour les législatives, « Adams »  – comme le surnomment ses vieux amis – y a été réélu député le 6 mars. Une victoire un temps contestée par sa rivale du Front populaire ivoirien (FPI), Fleur Aké M’Bo, mais finalement confirmée par la commission électorale. « Il a mobilisé beaucoup d’argent et de moyens pour gagner, mais il faut reconnaître qu’il a été élu », souffle un cadre du parti de Laurent Gbagbo.
Bictogo, lui, préfère évoquer son attachement « au terroir » et « une belle campagne, bien menée », durant laquelle il a voulu « faire plaisir à la population en lui faisant des dons, comme [il le fait] toute l’année ».
Il devait ensuite, comme le lui avait laissé entendre Alassane Ouattara, succéder à Amadou Soumahoro à la présidence de l’Assemblée nationale. Mais la mort du Premier ministre Hamed Bakayoko, au début du mois de mars, a changé la donne. Si Soumahoro avait été écarté, la région du Worodougou n’aurait plus compté un seul de ses notables à un poste influent. Le chef de l’État s’est donc résolu à le maintenir au perchoir, malgré une santé chancelante. « Quand le président m’a annoncé son choix, je n’ai ressenti ni déception ni frustration, jure Bictogo. Je souhaite juste être utile à son dispositif. Je me dois d’être discipliné et de montrer l’exemple. »
ENTRE SOUMAHORO ET BICTOGO, LES TENSIONS SONT DÉJÀ PERCEPTIBLES »
Il s’accommode donc d’un poste de premier vice-président aux compétences élargies. Mais la fonction est bien plus qu’un pis-aller : depuis le début 

de la nouvelle législature, il est considéré comme le vrai patron de l’hémicycle, d’autant que Soumahoro est souvent absent. « Entre eux, les tensions sont déjà perceptibles, glisse un député de l’opposition. Quand Soumahoro n’est pas là, Bictogo tente de prendre des décisions et de faire avancer les travaux de l’Assemblée, mais Soumahoro bloque tout quand il revient. » « Quand je dois assurer son intérim, je l’assume pleinement”, commente sobrement Bictogo.

Adama Bictogo, à l’Assemblée nationale ivoirienne, à Abidjan, le 5 mai 2021

Un bon vivant au contact facile
Ce poste prestigieux de président de l’Assemblée nationale, beaucoup, au sein de la majorité, continuent à penser qu’il aurait dû lui revenir. Depuis sa nomination comme directeur exécutif du RHDP par Ouattara en 2019, ce bon vivant au contact facile a noué des liens avec la plupart des élus du parti. « Il connaît tous les députés, assure un ministre. Il en reçoit beaucoup chez lui et a su créer une proximité avec eux. Cela facilite l’encadrement de leur travail à l’Assemblée. » « Il a un côté rassembleur, ajoute un collaborateur de Ouattara. Il a même réussi à faire fusionner les anciens venus du RDR [Rassemblement des républicains, la formation historique de Ouattara] avec les gens issus du PDCI [Parti démocratique de Côte d’Ivoire, d’Henri Konan Bédié]. Aujourd’hui, notre parti est bien implanté partout dans le pays. Il faut reconnaître qu’il a bien bossé ! »
Sa position au sein du RHDP, Adama Bictogo la doit avant tout aux bonnes relations qu’il a nouées avec le chef de l’État, auprès duquel il a su s’imposer et prouver son utilité. « Ils se parlent quasiment tous les jours, glisse un proche du président. Aujourd’hui, il a toute sa confiance. »
Depuis près d’un quart de siècle qu’ils se connaissent, le patron de Snedai Group a toujours été d’une loyauté sans faille à l’égard de Ouattara. Leur première rencontre remonte au début des années 1990. Après des études de commerce à Paris, le jeune Bictogo revient à Abidjan et intègre la SCOA, une chaîne de grande distribution. Il découvre alors à la télévision le nouveau Premier ministre, un quadra à l’allure dynamique dont le profil « novateur » le séduit : un certain Alassane Ouattara. Enthousiaste, il créé l’association de soutien « Génération Alassane Ouattara ».
Le « bon petit » d’Amadou
Le 14 février 1994, quelques semaines après la mort de Félix Houphouët-Boigny et sa démission du gouvernement, Ouattara reçoit Bictogo à Abidjan puis le présente aux membres de son premier cercle : Téné Birahima Ouattara, Amadou Gon Coulibaly, Hamed Bakayoko… « J’ai très vite eu des affinités avec Birahima, qui m’a tout de suite traité comme un petit frère, se rappelle-t-il. On allait souvent en voiture chez eux, dans le Nord. Et chaque dimanche soir, j’allais prendre mon plat de kabato sauce claire chez leur maman, Adja Nabintou Cissé. » Le député ajoute que c’est « en reconnaissance de l’affection qu’elle [lui] portait » qu’il a appelé une de ses filles Nabintou.
AMADOU ÉTAIT MON GRAND FRÈRE, MON AMI. IL N’Y AVAIT AUCUN SUJET TABOU ENTRE NOUS
En 1994, Adama Bictogo participe au lancement du RDR et se rapproche d’Amadou Gon Coulibaly. Les années suivantes, aux côtés du « Lion de Korhogo », il « tisse [sa] toile » au sein du RDR. Les deux hommes développent une vraie complicité. « Bictogo était le ?bon petit? d’Amadou », se souvient un collaborateur du président. Et quand Ouattara choisit de faire de Gon Coulibaly son dauphin pour la présidentielle de 2020, Bictogo lui apporte tout son soutien.
Puis survient le 8 juillet 2020. Une semaine après son retour de Paris, où il est resté deux mois pour ses problèmes cardiaques, Amadou Gon Coulibaly s’effondre à la sortie du conseil des ministres. Il ne se relèvera jamais. « Le choc a été extrêmement violent, confie

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