Rapport 2020-2021: Amnesty international dresse un tableau sombre de la situation des droits humains en Afrique. (Rapport Intégral)

0
596

Publié ce matin par l’organisation de défense des droits humains, le rapport annuel d’Amnesty International sur la situation des droits humains en Afrique dresse un tableau sombre des droits et libertés dans la région.
Ci-après l’intégralité du rapport…

S’il n’était pas interdit d’espérer que 2020 annonce la fin des conflits armés à répétition en Afrique, la poursuite des combats dans plusieurs pays déchirés par la guerre a anéanti toute raison d’être optimiste. La promesse faite en 2013 par les dirigeant·e·s africains, qui s’étaient engagés à « faire taire les armes » à l’horizon 2020, ne s’est pas concrétisée. Les tirs se sont même fait entendre encore plus fort, et ont ôté la vie à des milliers de personnes. Tous les conflits demeuraient caractérisés par de graves infractions au droit international humanitaire et au droit international relatif aux droits humains. Du nord-est du Nigeria, ravagé par des affrontements depuis une décennie, jusqu’au Tigré (Éthiopie), où un conflit a éclaté récemment, les forces de sécurité, les groupes armés et les milices ont commis des atrocités en toute impunité.

Aux effets dévastateurs des conflits se sont ajoutés ceux de la pandémie de COVID-19, des invasions de criquets et des chocs climatiques. Ces facteurs convergents ont eu de lourdes conséquences pour les populations, révélant les obstacles profondément ancrés qui entravaient le fonctionnement des systèmes de protection des droits humains et les défaillances structurelles de ces systèmes. La pandémie a tout particulièrement mis en évidence l’état déplorable des services de santé publique et les inégalités dans l’exercice des droits socioéconomiques les plus élémentaires. Par ailleurs, les mesures de confinement et de couvre-feu n’ont fait qu’accroître le risque, pour les femmes et les filles, de subir des violences fondées sur le genre, notamment des violences sexuelles, et les victimes peinaient à accéder à une aide juridique, à la justice et aux soins de santé. Signalons néanmoins un point positif : la protection des femmes et des filles contre la discrimination a connu quelques progrès notables, de la toute première condamnation pour viol conjugal en Eswatini (ex-Swaziland) jusqu’à la loi érigeant les mutilations génitales féminines en infraction au Soudan.

Des États ont eu recours à une force excessive pour faire appliquer la réglementation adoptée aux fins de la lutte contre l’épidémie de COVID-19 et disperser des manifestations. La pandémie a également servi de prétexte à certains gouvernements pour intensifier la répression et étouffer la dissidence. Les élections ont donné lieu à des violations des droits humains de grande ampleur.

CONFLITS ARMÉS ET ATTAQUES CONTRE LA POPULATION CIVILE

Les conflits avec des groupes armés et les attaques contre les populations civiles se sont poursuivis ou intensifiés dans la majeure partie du continent. Des groupes armés ont conservé des bastions en Afrique de l’Ouest et au Sahel, attaquant des civil·e·s au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Nigeria. En ripostant, les forces de sécurité ont commis elles aussi de graves violations des droits humains à l’encontre de la population civile. En Afrique centrale, des groupes armés ont brisé de nombreuses vies, aussi bien au Cameroun qu’en République centrafricaine, ou encore au Tchad. En Afrique australe, les violences qui couvaient de longue date dans la province de Cabo Delgado (Mozambique) se sont intensifiées et muées en un véritable conflit. La région des Grands Lacs et la Corne de l’Afrique étaient toujours en proie à des conflits prolongés. En République démocratique du Congo (RDC), en Somalie, au Soudan et au Soudan du Sud, les conflits ont continué à s’envenimer, quoiqu’ils n’eussent pas tous la même intensité ni la même ampleur. Un nouveau conflit a éclaté dans la région du Tigré, en Éthiopie, pays gangrené lui aussi par les violences intercommunautaires.

Entre février et avril, les autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont multiplié les opérations militaires contre les groupes armés. Lors de ces opérations, les forces de sécurité ont commis de graves violations des droits humains à l’encontre de la population civile, se rendant notamment coupables d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées. Au Nigeria, les forces gouvernementales ont lancé des attaques aveugles dans le contexte du conflit qui déchirait le nord-est du pays. Au cours d’une de ces attaques, l’armée de l’air a tué au moins 10 enfants et sept femmes en bombardant un village dans l’État de Borno.

En septembre, le nombre de victimes du conflit dans la province de Cabo Delgado, au Mozambique, s’élevait à 1 500. Les groupes armés ont décapité des civil·e·s, incendié des maisons, pillé des villages et enlevé des femmes et des filles, tandis que les forces de sécurité ont arrêté, torturé et soumis à des disparitions forcées ou à des exécutions extrajudiciaires des membres et des sympathisant·e·s présumés de groupes armés.

En Somalie, le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) a poursuivi ses frappes aériennes. Il en a mené plus de 53 durant l’année, au moyen de drones et d’aéronefs avec pilote. En février, deux frappes aériennes ont fait deux morts et trois blessés parmi la population civile. Au Soudan du Sud, les affrontements sporadiques entre les parties au conflit armé se sont poursuivis. Des militaires ont pillé des biens civils, incendié des villages et détruit des bâtiments, dont des hôpitaux, des églises et des écoles.

Au Burkina Faso, les affrontements entre groupes armés et les attaques contre la population civile, souvent fondées sur l’appartenance ethnique, ont perduré. Des attaques et des homicides ont été perpétrés par différents groupes armés dans des villages, dans des mosquées et sur des marchés au bétail dans les régions du Nord, du Sahel et de l’Est. Au Mali, des dizaines de civil·e·s ont été tués par divers groupes armés, en particulier dans le centre du pays. En juillet, notamment, des tireurs appartenant, semble-t-il, au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), ont attaqué plusieurs villages des communes de Tori et de Diallassagou, tuant au moins 32 civils. Au Nigeria, Boko Haram a fait plus de 420 victimes au sein de la population civile et a continué à recruter des enfants soldats et à enlever des femmes et des filles.

La crise dans les régions anglophones du Cameroun n’a pas perdu de son intensité. Des groupes armés séparatistes ont pris pour cible des personnes considérées comme favorables au gouvernement. En octobre, un nouveau degré d’horreur a été atteint lorsque des tireurs ont tué huit élèves et en ont blessé sept autres dans une école de la région du Sud-Ouest. Dans la région de l’Extrême-Nord, Boko Haram a mené cette année encore des centaines d’attaques visant la population civile.

Les violences intercommunautaires se sont intensifiées en Éthiopie. En novembre, dans le village de Gawa Qanqa (district de Guliso, zone Ouest Welega), au moins 54 membres du groupe ethnique amhara ont été tués dans une attaque perpétrée par des membres présumés de l’Armée de libération oromo (OLA), un groupe armé. Le même mois, un conflit armé a éclaté dans le Tigré, et de nombreux Amharas – probablement plusieurs centaines – ont été massacrés dans la ville de Mai-Kadra le 9 novembre. Cette attaque était le fait de milices locales.

Au Niger, des groupes armés, parmi lesquels l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) ont pris pour cible la population civile et des membres d’organisations humanitaires. En juin, 10 travailleurs humanitaires ont été enlevés par des hommes armés à Bossé Bangou, dans la région de Tillabéri, et, en août, sept employé·e·s d’une organisation humanitaire ont été tués par des membres de l’EIGS dans la réserve de girafes de Kouré. Des violences similaires ont été signalées en République centrafricaine, où 267 attaques contre des travailleuses et travailleurs humanitaires ont été recensées, lesquelles ont fait deux morts. Au Mali, des groupes armés sont allés jusqu’à attaquer des membres du personnel des Nations unies et en ont tué deux.

Al Shabab a continué à prendre pour cible la population et les infrastructures civiles en Somalie. En août, ce groupe a orchestré un attentat à la voiture piégée contre un hôtel du front de mer à Mogadiscio, la capitale, faisant au moins 11 morts et 18 blessés. Au Soudan du Sud, les combats entre groupes ethniques et clans se sont multipliés, faisant au moins 600 morts et 450 blessés et entraînant le déplacement de milliers de personnes.

Toutes les parties aux différents conflits armés doivent cesser immédiatement de lancer des attaques aveugles ou ciblées contre les populations civiles, les personnes non combattantes et les infrastructures civiles. L’Union africaine, l’ONU et leurs États membres doivent accentuer la pression en faveur de la protection des civil·e·s et du respect du droit international lors des conflits.

IMPUNITÉ

L’impunité demeurait généralisée pour les crimes de droit international et les autres graves atteintes aux droits humains. Dans les pays en proie à un conflit, les quelques progrès accomplis dans l’administration de la justice étaient sapés par des mesures régressives.

En République centrafricaine, la cour criminelle de Bangui a déclaré en février cinq dirigeants des milices anti-balaka coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ; en septembre, la Cour pénale spéciale a confirmé que 10 affaires étaient en cours d’investigation. Cependant, plusieurs chefs de groupes armés occupaient toujours des fonctions au sein du gouvernement alors même que leurs groupes commettaient des atteintes aux droits humains.

En RDC, la Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu a condamné Ntabo Ntaberi, alias Sheka, chef de la milice Nduma Defence of Congo, à la réclusion à perpétuité pour de graves crimes perpétrés à l’encontre de la population civile dans le Nord-Kivu entre 2007 et 2017. Il était notamment poursuivi pour les viols de quelque 400 femmes, hommes et enfants commis en 2010.

Au Soudan du Sud, des tribunaux civils et militaires ont déclaré plusieurs militaires coupables de violences sexuelles perpétrées dans le contexte du conflit. En revanche, aucune mesure ne semblait avoir été prise en vue de la création d’un tribunal hybride pour le Soudan du Sud, pourtant prévue par les accords de paix de 2015 et de 2018. Par ailleurs, le président a nommé gouverneur de l’État d’Équatoria-Occidental un ancien chef de l’opposition soupçonné d’avoir commis de nombreuses violences sexuelles dans le cadre du conflit.

COUR PÉNALE INTERNATIONALE

Des éléments nouveaux se sont fait jour à la CPI au sujet de plusieurs pays, notamment le Mali, le Nigeria et le Soudan.

En juin, Ali Muhammad Ali Abd Al Rahman (également connu sous le nom d’Ali Kushayb), ancien haut dirigeant d’une milice soudanaise, s’est rendu à la CPI après s’être soustrait à la justice pendant 13 ans. Il était accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis au Darfour. En revanche, à la fin de l’année, les autorités soudanaises n’avaient toujours pas livré à la CPI l’ancien président Omar el Béchir et deux autres personnes, qui devaient répondre d’un certain nombre d’accusations.

En juillet, le procès d’Al Hasan ag Abdoul Aziz ag Mohamed s’est ouvert devant la CPI. Cet homme était accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis à Tombouctou alors qu’il était membre du groupe armé Ansar Eddin (les Partisans de la religion), qui contrôlait la ville pendant l’occupation islamiste du nord du Mali, entre 2012 et 2013.

En décembre, le Bureau de la procureure de la CPI a achevé l’enquête préliminaire menée pendant 10 ans sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre qui auraient été commis par Boko Haram et les forces de sécurité nigérianes. Il a décidé de demander l’autorisation d’ouvrir une enquête officielle.

Parmi les faits nouveaux concernant le génocide rwandais de 1994, citons l’arrestation en France, au mois de mai, de Félicien Kabuga, soupçonné d’avoir été l’un des principaux financiers du génocide, et son transfert, en octobre, auprès du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux, à La Haye. En mai également, le procureur du Mécanisme international a confirmé qu’Augustin Bizimana, inculpé de génocide par le Tribunal pénal international pour le Rwanda en 2001, était mort en 2000 au Congo.

Les États africains doivent réitérer leur engagement à combattre l’impunité en diligentant des enquêtes approfondies, indépendantes, impartiales, efficaces et transparentes sur les crimes de droit international et en traduisant en justice les auteurs présumés de ces actes.

RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE ET DES LIBERTÉS

Dans cette région où l’abus de pouvoir des autorités et la répression suscitaient déjà de graves préoccupations, la situation s’est encore aggravée en 2020. Des États ont profité de la pandémie de COVID-19 pour accentuer les restrictions des droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. Dans presque tous les pays examinés, l’état d’urgence a été imposé en vue de limiter la propagation du coronavirus. Cependant, ces mesures ont souvent servi à bafouer les droits humains, notamment lorsque les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive pour les faire appliquer.

La répression des droits humains dans le contexte électoral s’est aussi intensifiée. Vingt-deux élections étaient prévues mais plusieurs ont été reportées ou suspendues. Celles qui ont été maintenues se sont déroulées dans un climat de peur et ont donné lieu à des violations des droits humains généralisées.

RECOURS EXCESSIF À LA FORCE

Le recours à une force excessive pour faire appliquer la réglementation liée à la pandémie de COVID-19 était courant. Dans de nombreux cas, il a entraîné des décès et des blessures, notamment en Afrique du Sud, en Angola, au Kenya, en Ouganda et au Togo.

En Angola, un adolescent de 14 ans se trouvait parmi les dizaines de personnes abattues par la police. Au Kenya, au moins six personnes, dont un garçon de 13 ans, ont succombé à des violences policières au cours des 10 premiers jours du couvre-feu national. Bien que le président ait présenté des excuses publiques, les abus de la police se sont poursuivis tout au long de l’année.

Au Rwanda, à la suite de la vague d’indignation qui a déferlé sur les réseaux sociaux, le président et le ministre de la Justice ont condamné les violences policières perpétrées dans le cadre de l’application du couvre-feu et ont promis d’amener les auteurs présumés à rendre des comptes. En Ouganda, les forces de sécurité ont tué au moins 12 personnes, dont une femme de 80 ans. En Afrique du Sud, la mort de Collins Khosa, violemment frappé par des militaires et des policiers chargés de faire respecter le confinement national, n’a fait que raviver les préoccupations de longue date suscitées par le fait que les forces de sécurité avaient recours à une force excessive.

RÉPRESSION DES MANIFESTATIONS PACIFIQUES

Les forces de sécurité ont continué de se livrer à des violences lors de manifestations pacifiques. En Éthiopie, les forces de l’ordre ont eu recours à une force excessive pour disperser des manifestant·e·s, faisant des centaines de morts. En juin, la dispersion violente des manifestations déclenchées par l’homicide d’un célèbre musicien oromo a fait au moins 166 morts pour la seule région Oromia. En août, les forces de sécurité ont tué au moins 16 personnes à la suite de manifestations contre l’arrestation de fonctionnaires, de responsables associatifs et de militantes et militants de la zone Wolaita.

Au Nigeria, les manifestations du mouvement #EndSARS ont abouti à la dissolution de la Brigade spéciale de répression des vols (SARS), une unité de police tristement célèbre pour ses violations des droits humains. Cependant, cette victoire a été obtenue au prix d’énormes pertes puisque, en octobre, au moins 56 personnes ont été tuées dans tout le pays lorsque les forces de sécurité ont tenté de maîtriser ou d’empêcher les manifestations. Douze des victimes sont mortes quand l’armée a ouvert le feu au cours d’une manifestation à la barrière de péage de Lekki, à Lagos.

En Guinée, sept personnes ont été tuées en mai pendant des manifestations qui dénonçaient les méthodes utilisées par les forces de sécurité pour faire appliquer les restrictions de circulation liées à la pandémie de COVID-19. Beaucoup d’autres sont mortes durant des manifestations contre une proposition de modification de la Constitution qui devait permettre au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat. Le 22 mars, jour du référendum sur la Constitution, 12 manifestant·e·s ont été tués, dont neuf par balle. Dans les jours qui ont suivi l’élection présidentielle d’octobre, les forces de sécurité ont tué au moins 16 personnes qui protestaient contre les résultats du scrutin.

La répression des manifestations a également pris d’autres formes, notamment celle d’interdictions illégales, de harcèlement judiciaire et d’arrestations arbitraires. Au Burkina Faso, plusieurs manifestations ont été interdites ou dispersées arbitrairement, notamment un sit-in organisé en janvier devant le palais de justice de Ouagadougou afin de réclamer justice pour l’homicide de 50 personnes par un groupe armé en 2019. En Côte d’Ivoire, des dizaines de personnes ont été arrêtées arbitrairement en août pour avoir participé à des manifestations contre le fait que le président Alassane Ouattara brigue un troisième mandat. 

Au Cameroun, les autorités ont interdit les manifestations sur l’ensemble du territoire après que le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), une formation d’opposition, a appelé la population à descendre dans la rue pour protester contre la décision des autorités de tenir des élections régionales en décembre. Le 22 septembre, au moins 500 sympathisant·e·s du MRC venus participer aux rassemblements ont été arrêtés arbitrairement.

Point positif, la Cour constitutionnelle ougandaise a invalidé en mars des dispositions de la Loi relative à la gestion de l’ordre public qui conféraient à la police des pouvoirs excessifs lui permettant d’interdire les rassemblements publics et les manifestations.

ATTAQUES VISANT DES DÉFENSEUR·E·S DES DROITS HUMAINS ET DES MILITANT·E·S DE L’OPPOSITION

Même en pleine pandémie, les attaques visant des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s de l’opposition n’ont pas faibli. Cela a été tout particulièrement le cas dans les pays qui ont tenu des élections ou étaient sur le point de le faire, comme le Burundi, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Niger, l’Ouganda et la Tanzanie.

Au Burundi, plus de 600 membres de partis d’opposition ont été arrêtés avant et pendant le scrutin du 20 mai. Au Niger, l’élection présidentielle de décembre a été précédée par une vague d’arrestations de militant·e·s politiques. En Tanzanie, au moins 77 responsables et partisans de l’opposition ont été arrêtés et placés en détention arbitrairement au lendemain des élections d’octobre. Avant le scrutin, les autorités avaient suspendu les activités ou gelé les comptes bancaires de plusieurs ONG de défense des droits humains.

Ailleurs, des défenseures et défenseurs des droits humains ont été enlevés, soumis à des disparitions forcées ou tués. Au Mali, un militant anticorruption a été enlevé par des agents encagoulés des services de renseignement et détenu au secret pendant 12 jours. Les accusations fallacieuses portées contre lui ont finalement été écartées par un tribunal. Au Mozambique, les forces de sécurité ont arrêté deux militants, qui ont ensuite été retrouvés morts aux côtés de 12 autres civils. Ibraimo Abú Mbaruco, journaliste dans une station de radio locale, a été victime d’une disparition forcée orchestrée par des militaires. On ignorait toujours où il se trouvait à la fin de l’année.

Au Niger, au Soudan du Sud et au Zimbabwe, les défenseur·e·s des droits humains et les militant·e·s qui dénonçaient des actes de corruption présumés et demandaient des comptes étaient particulièrement visés. Au Zimbabwe, les autorités ont utilisé abusivement le système judiciaire pour persécuter le journaliste d’investigation Hopewell Chin’ono, ainsi que d’autres défenseur·e·s des droits humains.

Quelques évolutions positives sont néanmoins à noter. En Ouganda, la Haute Cour a ordonné la libération de Stella Nyanzi, considérant que celle-ci avait été déclarée coupable à tort et que ses droits humains avaient été bafoués. Cette décision est intervenue en février, quelques jours seulement avant que l’intéressée ait fini de purger la peine de 18 mois d’emprisonnement à laquelle elle avait été condamnée par un tribunal de première instance pour cyberharcèlement du président. En juin, la Cour suprême du Burundi a invalidé la décision rendue par une cour d’appel qui confirmait la déclaration de culpabilité de Germain Rukuki, et a ordonné que l’appel soit réexaminé.

LIBERTÉ DE LA PRESSE

La répression de la dissidence s’est aussi manifestée par une restriction de la liberté de la presse. Au Mozambique, des assaillants non identifiés ont attaqué à la bombe incendiaire les locaux du journal indépendant Canal de Moçambique à peu près au moment où les autorités ont porté des accusations forgées de toutes pièces à l’encontre de deux cadres du journal. En Tanzanie, des journaux, des chaînes de télévision et des stations de radio critiques à l’égard du gouvernement ont été sanctionnés, suspendus ou interdits. La réglementation relative aux émissions de radio et de télévision a aussi été modifiée de façon à limiter la couverture médiatique des élections à l’international.

Au Togo, le nouveau Code de la presse et de la communication adopté en janvier prévoyait de lourdes amendes pour les journalistes en cas d’outrage à des représentant·e·s de l’État. En mars, deux journaux ont été suspendus pour avoir publié un article sur l’ambassadeur de France. Un troisième journal a été suspendu pour avoir critiqué ces suspensions. Au Niger et en République du Congo, entre autres, des journalistes ont été harcelés pour avoir critiqué la gestion de la pandémie de COVID-19 par les autorités.

Un événement positif est cependant à porter au crédit de la Somalie : le procureur général a créé un poste de procureur spécial chargé des infractions commises à l’encontre de journalistes.

Les États doivent veiller à ce que les forces de sécurité agissent dans le respect des normes internationales relatives aux droits humains concernant le recours à la force et aux armes à feu, et à ce que les cas de recours excessif à la force fassent rapidement l’objet d’une enquête approfondie, indépendante et transparente et que leurs auteurs présumés soient traduits en justice.

Ils doivent respecter les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, libérer toutes les personnes détenues arbitrairement et diligenter sans délai des enquêtes efficaces et transparentes sur les allégations de recours excessif à la force face à des manifestant·e·s, traduire en justice les auteurs présumés de ces actes et faire en sorte que les victimes aient accès à la justice et à des recours effectifs.

Ils doivent par ailleurs mettre fin au harcèlement et aux manœuvres d’intimidation visant des défenseur·e·s des droits humains et libérer immédiatement et sans conditions celles et ceux qui sont détenus ou emprisonnés.

Enfin, ils doivent respecter la liberté de la presse et veiller à ce que les médias soient libres de fonctionner en toute indépendance et à ce que les professionnel·le·s de ce secteur puissent mener leurs activités sans subir d’acte d’intimidation ou de harcèlement et sans avoir à craindre des représailles.

DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS, DROIT À LA SANTÉ

Le premier cas de COVID-19 en Afrique subsaharienne a été signalé au Nigeria le 28 février. À la fin de l’année, on avait enregistré plus de 2,6 millions de cas confirmés et plus de  63 000 décès dus au coronavirus sur l’ensemble du continent. Compte tenu du manque cruel de matériel médical, notamment de respirateurs et d’équipements de protection individuelle pour le personnel soignant, la plupart des systèmes de santé de la région n’étaient pas bien préparés pour faire face à la pandémie. En raison de l’insuffisance des capacités de dépistage, les résultats des tests étaient communiqués très tardivement. Le Lesotho, par exemple, n’a disposé d’aucun moyen de dépistage jusqu’à la mi-mai ; les prélèvements étaient envoyés en Afrique du Sud.

Certains pays n’ont pas divulgué ou ont cessé de publier les informations relatives au COVID-19, et d’autres n’ont pas pris en considération les recommandations de l’OMS en matière de santé publique. En mai, le Burundi et la Guinée équatoriale ont même expulsé des hauts fonctionnaires de l’OMS. Par ailleurs, la précarité des infrastructures routières et le manque d’hôpitaux et de soignant·e·s ont compliqué la gestion de la crise sanitaire.

La pandémie a mis au jour des décennies de négligence et de sous-financement chronique du secteur de la santé publique dans toute la région, bien que les États africains se soient engagés en 2001 à consacrer chacun au moins 15 % de leur budget annuel à la santé. Elle a également révélé la corruption endémique dans ce secteur. Des détournements de fonds alloués à la lutte contre la pandémie et des vols de matériel médical et de colis humanitaires ont été signalés dans de nombreux pays, notamment en Afrique du Sud, au Kenya, au Nigeria, en Zambie et au Zimbabwe.

Sur le plan positif, au moins 20 pays de la région ont entrepris de décongestionner les prisons au titre des mesures prises pour lutter contre la pandémie. Malgré cela, la plupart des prisons du continent demeuraient surpeuplées, ce qui mettait la vie des personnes détenues en danger.

DROITS DES SOIGNANT·E·S

Les États de la région n’ont pas protégé le personnel soignant du coronavirus comme ils l’auraient dû. Les professionnel·le·s de santé travaillaient dans des conditions insalubres et dangereuses en raison de la pénurie d’équipements de protection individuelle et de produits désinfectants. Début août, au moins 240 soignant·e·s étaient morts du COVID-19 en Afrique du Sud. En juillet, environ 2 065 soignant·e·s avaient été infectés par le coronavirus et six avaient succombé à des complications au Ghana.

En dépit de la charge de travail accrue et des risques professionnels supplémentaires, le personnel soignant n’était pas suffisamment indemnisé dans la plupart des pays. Lorsque les effets de la pandémie sont devenus ingérables, des professionnel·le·s de la santé ont lancé des mouvements sociaux pour réclamer de meilleures conditions de travail. Sur tout le continent, des soignantes et soignants ont fait part de leurs préoccupations au moyen de plaintes judiciaires, de manifestations et de grèves, notamment en Afrique du Sud, au Burkina Faso, au Congo, au Kenya, au Lesotho, en Sierra Leone, au Togo et au Zimbabwe. Les autorités ont réagi par diverses formes de représailles.

En Guinée équatoriale, une infirmière a été harcelée par sa hiérarchie et par la justice parce qu’elle s’était plainte sur WhatsApp de la pénurie d’oxygène à l’hôpital de Sampaka, à Malabo. Au Zimbabwe, 17 infirmières et infirmiers ont été arrêtés pour avoir enfreint la réglementation relative au confinement lorsqu’ils avaient manifesté afin de réclamer des augmentations de salaire et une amélioration de leurs conditions de travail.

RÉPERCUSSIONS SUR LES MOYENS D’EXISTENCE ET LE DROIT À L’ALIMENTATION

La pandémie de COVID-19 a eu des effets dévastateurs sur les économies africaines, déjà fragiles. Les couvre-feux, les mesures de confinement et les interdictions de circuler ont eu des conséquences disproportionnées sur les personnes travaillant dans l’économie informelle, qui constituaient 71 % de la main-d’œuvre de la région. Beaucoup de ces personnes ont perdu leurs moyens d’existence et leurs revenus, et n’étaient plus en mesure d’acheter de la nourriture ni d’autres produits de première nécessité. Cela a exacerbé les difficultés auxquelles étaient déjà confrontées les personnes en situation d’insécurité alimentaire chronique, notamment en raison des sécheresses récurrentes et des invasions de criquets.

Des entreprises ont dû cesser leurs activités et des milliers de personnes se sont ainsi retrouvées sans emploi. Au Lesotho, plus de 40 000 travailleuses et travailleurs des secteurs minier et manufacturier ont été licenciés. La plupart des États ont mis en place des programmes d’aide sociale, avec notamment une aide alimentaire pour les personnes les plus pauvres, mais ces mesures de soutien étaient souvent insuffisantes.

EXPULSIONS FORCÉES

Des États ont continué de bafouer le droit à un logement convenable, alors même qu’il prenait toute son importance dans le contexte de la pandémie de COVID-19. En Éthiopie, au Ghana et au Kenya, les autorités ont rasé des quartiers informels dans leurs capitales respectives, à savoir Addis-Abeba, Accra et Nairobi, faisant des milliers de sans-abri ; de ce fait, ces personnes étaient plus exposées au risque de contracter le COVID-19. En Eswatini et au Lesotho, des milliers de personnes vivaient dans la crainte permanente d’être expulsées de force par les autorités ou par des acteurs privés.

Un fait positif est cependant à noter : en avril, la Haute Cour de Zambie a statué que le déplacement forcé de populations rurales du district de Serenje de leurs terres ancestrales bafouait plusieurs droits fondamentaux.

DROIT À L’ÉDUCATION

La pandémie de COVID-19 a perturbé la scolarité en raison de la fermeture des écoles, en particulier au premier semestre. Des millions d’enfants n’ont pas pu suivre l’enseignement à distance, faute d’avoir accès à la technologie nécessaire, et ont ainsi été privés de leur droit à l’éducation. Cela n’a fait qu’aggraver les inégalités et la pauvreté. Dans les pays en proie à un conflit, comme le Burkina Faso, le Cameroun et le Mali, l’accès à l’éducation était également entravé par l’insécurité et les attaques constantes menées par des groupes armés.

Les États africains doivent utiliser au maximum les ressources disponibles afin de combler de toute urgence le déficit de financement chronique du secteur de la santé publique, et s’employer à renforcer la coopération régionale et internationale afin de consolider leurs systèmes de santé. Ils doivent également écouter les revendications du personnel soignant, notamment en matière de sécurité, trouver des solutions aux problèmes soulevés et cesser toute forme de harcèlement et de poursuites arbitraires.

Enfin, ils doivent veiller à ce que les expulsions soient conformes aux normes internationales et à ce que tous les enfants aient accès à l’éducation.

PERSONNES RÉFUGIÉES, DEMANDEUSES D’ASILE, MIGRANTES OU DÉPLACÉES

Des millions de personnes étaient toujours déplacées du fait d’un conflit armé, d’une crise humanitaire ou de violations persistantes des droits humains. Au Burkina Faso, le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays a atteint le million. En République centrafricaine, on dénombrait 660 000 personnes déplacées par le conflit au 31 juillet. Les Érythréen·ne·s ont continué de fuir leur pays en nombre, principalement pour éviter le service national à durée indéterminée. En Somalie, la crise humanitaire provoquée par le conflit, la sécheresse, les inondations et l’invasion de criquets s’est aggravée ; en août, elle avait entraîné le déplacement de près de 900 000 personnes. En septembre, le Mozambique comptait plus de 250 000 personnes déplacées en raison du conflit qui faisait rage dans la province de Cabo Delgado.

Les personnes réfugiées, migrantes ou demandeuses d’asile étaient touchées de manière disproportionnée par le coronavirus. Un grand nombre d’entre elles se sont retrouvées bloquées en raison de la fermeture des frontières. Au premier semestre, les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ont été exclues des programmes d’aide sociale mis en place par les autorités sud-africaines dans le contexte de la pandémie.

Les États doivent respecter le droit d’asile. Ils doivent laisser leurs frontières ouvertes aux personnes réfugiées ou demandeuses d’asile, tout en prenant les mesures sanitaires nécessaires aux points d’entrée sur leur territoire. Ils doivent également garantir l’accès de toutes les personnes demandeuses d’asile, réfugiées ou migrantes aux systèmes nationaux de santé et de protection sociale.

DISCRIMINATION ET MARGINALISATION

VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES

En raison des mesures de confinement et des couvre-feux instaurés dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les femmes et les filles risquaient davantage de subir des violences sexuelles et des violences fondées sur le genre. Bien souvent, les victimes rencontraient des difficultés pour accéder à la justice, aux soins médicaux, à une aide juridique et à des services d’accompagnement psychologique. En Afrique du Sud, les violences sexuelles et les violences fondées sur le genre ont continué à se multiplier, atteignant un taux presque cinq fois supérieur à la moyenne mondiale. La pandémie de COVID-19 a également eu des effets dévastateurs sur la santé et les droits reproductifs des femmes en perturbant l’accès aux soins de santé maternelle.

Cette année encore, des violences sexuelles et des violences fondées sur le genre, notamment des viols, ont été commises dans le contexte de conflits. En République centrafricaine, l’ONU a recensé 60 cas de violences sexuelles liées au conflit, telles que des viols, des mariages forcés et des situations d’esclavage sexuel, entre juin et octobre. En RDC, les violences sexuelles à l’encontre des femmes et des filles ont progressé dans le contexte du conflit faisant rage dans l’est du pays.

Néanmoins, quelques progrès ont été accomplis en ce qui concerne la protection des femmes et des filles contre les discriminations. En janvier, pour la première fois, un homme a été déclaré coupable de viol conjugal en Eswatini. L’Afrique du Sud a annoncé en février qu’elle allait élaborer un traité régional sur les violences faites aux femmes. En avril, le Soudan a érigé en infraction les mutilations génitales féminines. Le mois suivant, le président rwandais a gracié 36 femmes déclarées coupables d’avoir avorté. La Sierra Leone a créé en juillet la première juridiction modèle pour les infractions sexuelles, en vue d’accélérer le traitement des affaires de viol.

PERSONNES ATTEINTES D’ALBINISME

Cette année encore, des personnes atteintes d’albinisme ont été victimes d’agressions violentes et de mutilations. En Zambie, le corps démembré d’un homme de 43 ans a été retrouvé en mars : ses yeux, sa langue et ses bras avaient été prélevés. En avril, le cadavre d’un homme a été exhumé et des parties de son corps ont été volées. Au Malawi, la tombe d’un petit garçon de deux ans a été profanée en janvier. Le mois suivant, une femme de 92 ans a eu deux orteils sectionnés lors d’une agression dont l’auteur n’a pas été identifié.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, 

TRANSGENRES OU INTERSEXES

Les personnes LGBTI étaient toujours victimes de discrimination et les relations consenties entre personnes du même sexe demeuraient une infraction dans la majorité des pays. À Madagascar, une femme soupçonnée d’avoir entretenu une relation consentie avec une jeune femme de 19 ans a été placée en détention provisoire pour « détournement de mineure ». En Eswatini, les autorités ont rejeté la demande d’enregistrement du groupe de défense des personnes LGBTI Minorités sexuelles et de genre d’Eswatini. En Ouganda, la police a arrêté 23 jeunes hébergés dans un centre d’accueil pour personnes LGBTI sous prétexte de faire appliquer les directives relatives à la lutte contre le coronavirus. Si quatre de ces personnes ont été libérées pour raisons médicales dans les trois jours qui ont suivi leur arrestation, les autres ont été détenues 44 jours sans pouvoir consulter leurs avocats ni recevoir des soins médicaux.

Les États doivent renforcer les mesures de prévention des violences fondées sur le genre et de protection contre ces actes, en particulier dans les situations de confinement, de couvre-feu et de conflit. Ils doivent également prendre des mesures supplémentaires en vue d’éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles, en droit et en pratique, et notamment veiller au respect des obligations internationales.

Les États africains doivent par ailleurs prendre des mesures pour mettre fin à toutes les formes d’agression et de discrimination qui visent des groupes marginalisés. Des mesures urgentes sont nécessaires pour offrir une protection efficace aux personnes atteintes d’albinisme, traduire en justice les auteurs présumés d’infractions à leur encontre et garantir l’accès des victimes à la justice et à des recours effectifs. Enfin, les États doivent abroger les lois qui marginalisent les personnes LGBTI et érigent en infraction les relations entre personnes du même sexe.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici