Chronique « En toile de fond »: Assiste-t-on à un « printemps américain » ?

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Par Ibrahima Mbodj

« Je ne peux pas respirer » (I can’t breathe). Cette phrase prononcée par l’Afro-américain, George Floyd, agonisant sous le genou d’un policier blanc à Minneapolis le 25 mai, est devenue, aujourd’hui, un cri de ralliement des nombreux manifestants aux États-Unis (et dans le monde), contre les violences policières et le racisme institutionnel dans ce pays.  Ce meurtre exécuté froidement comme au safari n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase des violations massives des droits et de l’atteinte à l’intégrité corporelle des membres de la communauté noire. En vérité, depuis l’abolition de l’esclavage en 1865, les États-Unis n’ont jamais réussi à donner aux Afro-américains, la place qu’ils méritent dans un pays qui s’est bâti grâce à l’exploitation gratuite de leur force de travail. Ces derniers sont jusqu’à présent les plus pauvres, les moins instruits, les moins soignés, les plus frappés par le chômage et en terme de pourcentage communautaire, ils représentent le plus gros contingent dans les prisons. Un homme noir sur trois connaîtra la prison dans sa vie aux États-Unis. Victimes d’erreurs judiciaires et de dénis de justice, ils sont les métèques de l’Amérique.

Ce qui se passe en ce moment dans ce pays avec des manifestations qui se sont généralisées, est donc un ras-le-bol qui mobilise non seulement les Afro-américains mais également des blancs, des hispaniques et des asiatiques dans un contexte de chômage et d’appauvrissement provoqué par la Covid-19. Le pays enregistre 40 millions de chômeurs et beaucoup de familles comptent sur les banques alimentaires pour se nourrir. Près de 110.000 personnes sont mortes du coronavirus. La force du mouvement actuel, c’est son caractère transcommunautaire et c’est pourquoi il inquiète le pouvoir trumpien et les néoconservateurs. Surtout avec le refus public de républicains comme l’ancien président George W. Bush et de Colin Powell, son ex-secrétaire d’État de voter pour lui en novembre.

Dans le passé, on avait assisté à des manifestations comme les émeutes de 1967, de 1968 après l’assassinat de Martin Luther King, de 1992 à Los Angeles avec l’affaire de l’automobiliste noir Rodney King ou à la suite du meurtre de l’adolescent noir Travon Martin en 2013 … et qui va donner naissance au mouvement « Black lives matter » (la vie des Noirs compte). Mais le contexte a changé. Aujourd’hui, le racisme systémique qui existe contre la communauté noire aux États-Unis ne peut plus être éludé ou caché comme par le passé et les manifestations notées à travers le monde (mais très peu en Afrique) pour dénoncer le meurtre de George Floyd en attestent. Le moment est donc venu de crever l’abcès car personne ne peut comprendre que les États-Unis qui s’autoproclament pays de démocratie et des droits de l’homme, qui distribuent les bonnes et les mauvaises notes au reste du monde, puissent laisser perdurer des injustices aussi flagrantes. D’ailleurs, des pays comme la Russie, la Chine ou l’Iran qui ont souvent reçu les leçons américaines n’ont pas raté l’occasion d’appeler Washington au respect de ce qu’il professe. Par ailleurs, la personnalité très clivante du Président américain, Donald Trump, dont les prises de position semblent encourager les suprémacistes blancs, a donné à l’affaire Floyd une dimension politique car n’oublions pas que les États-Unis sont en période électorale et le camp démocrate essaie d’en profiter pour tirer les marrons du feu. On a vu Joe Biden, le candidat, charger le Président Trump et dénoncer le racisme institutionnel aux États-Unis. Mais les Afro-américains doivent se méfier de tout discours électoraliste qui viserait à obtenir leurs suffrages sans proposer de véritables solutions aux maux auxquels ils sont confrontés, en dépit du geste d’agenouillement des policiers.

En effet, derrière ces manifestations, se déroule également un jeu d’ombres avec les démocrates et d’autres forces à la manœuvre. Le bras de fer qui a déjà opposé Trump à ces forces et caché derrière ce qui est appelé « interférence de la Russie dans les élections de 2016 », est, en fait, une lutte pour le pouvoir. Il a buté sur l’échec de la tentative de destitution de Trump mais ne s’est pas arrêté. Le Président américain l’a bien compris lorsqu’il a menacé de faire sortir l’armée mais en profite aussi en jouant sur la bipolarisation actuelle de la société américaine pour mobiliser ses inconditionnels par une série de tweets très discriminants.

Ce pays qui a produit l’ingénierie politique des révolutions de couleurs qui ont déferlé sur le monde (Ukraine, Géorgie, Tunisie, Égypte, Libye, Syrie…) pour changer les régimes politiques en place reçoit maintenant un retour de flamme qui secoue sa société. Et l’on s’étonne que le Président Trump traite les manifestants américains de « voyous « menaçant de déployer l’armée contre eux alors que ceux qui étaient dans la rue au Vénézuela, en Iran et à Hong Kong étaient considérés comme des militants pro-démocratie. Il y a dans ce « deux poids deux mesures » quelque chose qu’il faut remettre à l’endroit. Quelle serait la réaction américaine si d’autres pays s’étaient mis à soutenir ou à encourager ceux qui protestent aux États-Unis comme ce pays le fait assez souvent.

On peut toutefois regretter que dans ce concert de manifestations et de dénonciations à travers le monde, l’Afrique soit relativement silencieuse sur le sort de ses fils et filles « étouffés «  outre-Atlantique.

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