En Afrique, le coronavirus fait les affaires des plates-formes de livraison à domicile

Alors que de nombreux pays ont restreint les déplacements et l’ouverture des commerces, certaines entreprises de vente en ligne voient leurs commandes exploser.

Seydou Sall asperge d’antiseptique les sacs de denrées tout juste déposés chez lui par l’une de ces sociétés de livraison et de commerce en ligne dont le Covid-19  dope les ventes, ici à Dakar, comme ailleurs en Afrique. Du sucre, du lait, du café, des dattes, du fromage… Ce chercheur du monde de l’entreprise, qui vit dans un quartier huppé de la capitale du Sénégal, s’en remet à l’e-commerce, comme un nombre de consommateurs qui semble aller grandissant sous l’effet de la pandémie.
« La livraison à domicile me permet d’éviter les contacts et les queues. En trois clics, j’ai ma commande et je ne paie que 2 000 francs CFA », soit 3 euros, pour la livraison, dit-il, masque sur le visage. Les autorités sénégalaises ont restreint les déplacements et l’ouverture des marchés et des commerces. Ajoutez à cela la crainte de la contagion, et Seydou Sall a confié son approvisionnement à Rapidos. La plate-forme assure faire des affaires.
 « Rapidos a été créée il y a deux ans comme un site de livraison, explique un de ses responsables, Mohamed Badiane. Avec le coronavirus et les difficultés pour se déplacer, une plate-forme de vente en ligne a été ajoutée, en partenariat avec des supermarchés, des boulangeries, des opérateurs de produits comme les fruits et légumes ou la viande. » Depuis, « les livraisons à domicile ont augmenté de 90 %, essentiellement des produits liés au ramadan comme le sucre, les dattes et le lait ».

Fermeture des marchés
Si l’épidémie n’a pas causé les ravages redoutés en Afrique, le continent n’échappe pas aux sombres pronostics sur l’impact qu’elle aura sur les économies. La fermeture des marchés, si importants sur le continent, et les contraintes imposées aux flux de biens et de personnes ont durement affecté le commerce de détail. Mais en ce qui concerne le commerce en ligne, les témoignages recueillis par l’Agence France-Presse (AFP) auprès d’opérateurs suggèrent que la sénégalaise Rapidos est tout sauf un cas isolé.
Cependant, l’apparente absence d’étude ou de données spécifiques incite à la prudence quant à la profitabilité ou la durabilité du phénomène, dans un contexte africain compliqué pour cette activité.
Jumia, géant du secteur en Afrique, connaît en Côte d’Ivoire  une « explosion des commandes de supermarché, de nourriture et de produits d’hygiène », témoigne son directeur général dans le pays, Francis Dufay. Les commandes sont le triple de ce qu’elles sont en temps normal, assure-t-il. En Afrique du Sud, qui dispute avec le Nigeria la place de première économie africaine, OneCart, qui livre des produits alimentaires et pharmaceutiques, revendique une « augmentation de 500 % » de ses activités, à laquelle il a fallu s’adapter en accroissant les capacités, dit Lynton Peters, cofondateur.
Le commerce en ligne progressait déjà de manière significative en Afrique avec l’avancée d’Internet, le développement de la classe moyenne, l’urbanisation et la jeunesse de la population, tout en demeurant éloigné de ce qu’il représente ailleurs dans le monde.
La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) chiffrait à la fin de 2018 à au moins 21 millions le nombre d’acheteurs en ligne en Afrique en 2017. C’est moins de 2 % du total mondial, alors que la part de la population est estimée à environ 17 % de celle de la planète. La moitié de ces consommateurs étaient concentrés au Nigeria, en Afrique du Sud et au Kenya. Le nombre des acheteurs a augmenté chaque année de 18 % depuis 2014, plus vite que la moyenne mondiale, de 12 %, mais le commerce en ligne correspondait à moins de 0,5 % du PIB africain, loin de la moyenne mondiale de plus de 4 %, notait la Cnuced.

« Chacun est devenu cuisinier »
L’e-commerce en Afrique attire les investisseurs. Mais ils doivent surmonter des obstacles considérables : moindre accès à Internet, pouvoir d’achat limité de la classe moyenne, infrastructures déficientes, méfiance envers les paiements en ligne et, par opposition, prééminence des marchés et des transactions en liquide. Avec les lacunes dans la dénomination des rues, transporter la marchandise à destination est un défi. Des acteurs majeurs comme Amazon se tiennent à l’écart de l’e-commerce en Afrique. D’autres adaptent leurs pratiques à l’environnement. Jumia a développé toute une flotte de livreurs mais peine à faire des profits.
Le Covid-19 aura permis de capter plus durablement d’anciens clients et d’en « hameçonner » de nouveaux, disent les opérateurs. « Le fait que les gens ne puissent pas sortir a accru la connaissance et la curiosité concernant nos services de vente en ligne et de livraison », dit Jerobeam Pengevally Mwedihanga, propriétaire de Tambula Online Shop, un site de vente de denrées en Namibie« On a l’impression qu’on a réussi à fidéliser des clients qui ont découvert l’e-commerce », abonde M. Dufay, chez Jumia.
La médaille a ses revers, en fonction des pays, de la sévérité des mesures de confinement ou des produits vendus. Le coronavirus a constitué « un gros coup dur » pour les commandes de restauration, dit Maguelonne Biau, directrice générale de Glovo en Côte d’Ivoire, où cette compagnie fait travailler environ 400 livreurs. « Notre activité supermarché a augmenté, mais on ne peut pas dire que ça compense. On a tiré un trait sur tout ce qui était restaurant avec le couvre-feu », dit-elle. Les gens restant chez eux, « chacun est devenu cuisinier », diagnostique Salmi Shigwedha, propriétaire de Garden Inn, une plate-forme de livraison de repas en Namibie.
Le Monde avec AFP

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici