Arrêté avec ses camarades le 29 novembre dernier, suite à la manifestation contre la hausse du prix de l’électricité, Guy Marius Sagna est toujours dans les liens de la détention.
Sa libération se fait attendre. Parmi les nombreuses voix qui plaident sa libération, il y a l’activiste Nogaye Babel Sow (NBS). Porte-parole internationale de l’ONG Urgences panafricanistes, NBS a mené plusieurs combats avec Guy Marius Sagna (GMS) depuis quelques années. Elle connaît bien ce panafricaniste acharné : sa démarche, son idéologie et surtout ses stratégies, qu’elle ne partage pas. Dans cet entretien accordé à SeneNews, Nogaye Babel décrit Guy Marius comme «un humaniste», «un féministe» doté d’une très grande sensibilité. Sur le plan humain, d’après elle, Guy Marius est un ami, un frère et un confident. Toutefois, dans leur combat pour le panafricanisme, c’est le côté trotskiste de Guy Marius qui a souvent posé problème à Nogaye Babel Sow. Pour elle, le trotskisme et le panafricanisme ne peuvent pas faire bon ménage. C’est ce qu’elle a souvent reproché à son camarade de lutte. Entretien.
C’est un grand plaisir de vous parler de Guy parce que c’est quelqu’un que j’ai eu la chance de connaître. On a beaucoup travaillé, on a beaucoup construit ensemble. On a trouvé ensemble le terme «France Dégage», qu’on a mis sur pied. Je connais Guy l’activiste et je connais Guy l’humain. Guy l’activiste, c’est un humaniste, un pacifiste, et un féministe. Je parle en connaissance de cause… La première manifestation que j’ai organisée, le 11 février 2017, Guy Marius a répondu à mon invitation après m’avoir aidée dans la préparation. Guy l’activiste, c’est aussi un rassembleur.
Que s’est-il passé concrètement lors de cette manifestation du 11 février ?
Ce jour-là les journalistes avaient refusé de m’interviewer parce que mon genre ne collait pas avec ce qu’ils voulaient faire ressortir peut-être dans leurs reportages, dans leurs journaux, et mon âge non plus. Par contre, ils voulaient interroger Guy, un autre homme mais pas moi, pas une femme. Guy s’est opposé et leur a dit si vous ne la prenez pas en interview, moi non plus, ce n’est pas la peine de me prendre. Ça, c’est l’une des choses dont je me rappellerai toute ma vie.
Vous avez milité ensemble. Quel genre de collaborateur est-il ?
Guy c’est quelqu’un qui sait se sacrifier. Il est comme ça. C’est quelqu’un qui pense que lui seul, il peut faire de grandes choses. C’est ça qui est bien et c’est pour cela qu’il ne se fatigue pas. Côté stratégique, on n’a jamais été d’accord. C’est pour cette raison qu’on se chamaille tout le temps. Tous ceux qui nous connaissent savent que moi je passe mon temps à me disputer avec lui. Guy pour moi, c’est un trotskiste. Je lui reproche souvent de ne pas avoir des stratégies à long terme, de ne pas avoir une idéologie cadrée. Or, lui, il pense qu’il peut rassembler toutes les entités autour du panafricanisme peu importe leurs idéologies. Guy pense qu’on peut avoir besoin d’elles et qu’il faut les intéresser à nous (Ndlr : militants panafricanistes). C’est le seul point de discorde qu’on a lui et moi.
Ça veut dire qu’avec Guy Marius vous savez où vous voulez aller, mais vous ne vous entendez pas sur le chemin à emprunter…
Chaque idéologie a une ligne directrice. Quand on discute, tout le temps, je lui dit ton principal souci c’est que tu es plus marxiste que panafricaniste. Comme tu as d’abord été marxiste, tu veux le traduire le marxisme en panafricanisme. Je lui disais Guy tu as une idéologie trotskiste alors qu’on sait tous que ce n’est pas ça qui va faire avancer l’Afrique. Ce dont on a besoin actuellement c’est une idéologie carrée qui pourrait faire sortir l’Afrique de sa situation actuelle. On a plus besoin d’une idéologie constructive, mais pas d’une une idéologie assez suicidaire.
Vous avez parlé de Guy l’activiste. Qu’en est-il de Guy l’humain ?
Guy l’humain, c’est quelqu’un qui sait se contenter du peu, qui ne cherche pas grand-chose. Il a une vie paisible, vraiment très, très simple. Il n’a pas besoin de beaucoup de choses pour être heureux. C’est aussi un très bon père de famille. J’en sais quelque chose. A chaque fois qu’il a l’occasion, il va voir sa fille et sa femme qu’il aime, et passer du temps avec elles. C’est un excellent père de famille. C’est aussi un grand humaniste, un grand ami et une personne sur qui on peut compter. Chaque fois que j’ai eu besoin de lui, il a toujours été là. Ce n’est pas quelqu’un qui se défile. Non. C’est un grand homme, quelqu’un de profondément humaniste, de profondément humain.
Quels autres traits de personnalité avez-vous décelé chez Guy Marius ?
Il est une personne très sensible. Ça peut-être beaucoup ne le savent pas. Je sais que je suis sensible, mais Guy est plus sensible que moi. C’est assez facile de lui faire du mal ou de l’atteindre. En même temps, il est vraiment non violent. Il est contre la violence. C’est une personne très attentionnée. Par exemple, à chacun de mes anniversaires, vraiment il faut que je vous le dise, je reçois son gâteau d’anniversaire avant tous les autres gâteaux. C’est-à-dire que, lui, il commande mon gâteau d’anniversaire 10 jours à l’avance. Il y pense au moment où moi, dans ma tête, je me dis que j’ai encore du temps…C’est quelqu’un que j’apprécie énormément, c’est un grand frère. C’est surtout quelqu’un avec qui je me chamaille beaucoup parce qu’idéologiquement parlant, nous avons la même idéologie, mais stratégiquement, on ne s’entend pas du tout.
Dans votre cheminement de militants, c’est quelqu’un qui vous a donc beaucoup marqué ?
C’est l’une des plus belles rencontres de ma vie. La première fois qu’on s’est rencontré c’était lors de la première manifestation anti CFA. Quand j’ai fin mon discours, il est venu vers moi, on a discuté. Il m’a dit : « vous êtes extraordinaire ! Est-ce que je peux vous prendre dans mes bras » ? Il était ému, moi ça m’étonnait. Donc c’est quelqu’un de naturel, sensible. Je ne peux dire que du bien de lui parce que c’est tout ce que je connais de lui. Guy, c’est un grand patrimoine pour le Sénégal à lui tout seul. C’est quelqu’un qui donne beaucoup d’amour à tout le monde. C’est l’une des personnes les plus authentiques que je connaisse très sincèrement. Sa place n’est pas en prison, sa place est dehors. Il n’a rien à faire là-bas (ndlr : en prison) . Ce n’est pas son milieu. J’espère très sincèrement qu’ils vont le libérer. Enfin ils n’ont pas le choix en tout cas.
Pour vous est-ce que ce n’est pas trop de vouloir défendre en même temps toutes les causes sociales du Sénégal comme il le fait avec le FRAPP?
Moi je ne dirai pas les choses comme ça. Je pense que c’est excellent de vouloir défendre toutes les causes de la société sénégalaise. Pour Guy Marius dans sa logique de trotskiste, il faut être sur tous les fronts. Sauf que non seulement physiquement c’est impossible, moralement, ça peut prêter à confusion et idéologiquement ça va être un résumé de plusieurs idéologies. C’est ça le vrai problème. Mais globalement, je pense que c’est une chance qu’on a d’avoir quelqu’un qui fait un don de soi incroyable qui a un amour incroyable pour le Sénégal et pour l’Afrique. Je pense que stratégiquement c’est quelqu’un qui se dépense trop, quelqu’un qui fait plein de choses, qui se donne et qui aurait pu être plus efficace et plus efficient avec une idéologique plus précise.
Sa famille et ses proches sont-ils en phase avec son engagement ou plutôt essaient-ils de l’en dissuader ?
Vous savez, tout le monde dans son entourage a essayé de le dissuader de son militantisme, aussi bien ses parents que ses proches. À chaque fois qu’il est arrêté, les gens lui disent : « mais pourquoi tu fais ça ? » Quand tu te bats contre l’injustice, tu te fais des ennemis. A chaque fois qu’il est quelque part, il se faisait des ennemis. Parce qu’on est dans un pays de «massla », où il y a beaucoup d’hypocrisie. Chacun voudrait que quelqu’un se batte pour le Sénégal, pour l’Afrique et personne ne voudrait que ce soit son fils, sa fille, sa femme, son mari, son père, sa mère. Parce que chacun veut savoir que ses proches sont en sécurité.
La famille ne comprends donc pas son engagement avec tous les sacrifices que ça implique …
La famille ne comprends pas. C’est normal et elle ne comprendra jamais. Après la famille proche (sa femme, sa fille), c’est un peu différent. Quand tu es marié à quelqu’un et qu’il a un tel engagement, tu as deux choix. Au début, tu essaies de le dissuader et tu utilises tous les moyens. En fin de compte, soit tu le soutiens ou tu pars. Il a une famille proche extraordinaire, remarquable qui le comprend. C’est à cause du militantisme qu’il ne voit pas régulièrement sa femme et sa fille. Et ça beaucoup ne le savent pas. Aujourd’hui, à cause du militantisme, il perdu beaucoup de choses qu’il aurait pu en gagner. Guy est un travailleur social. Quand il a été affecté à Dakar, on lui a donné un local qui va s’effondrer et sans aucun privilège. Beaucoup de jeunes à sa place ont deux choix. Soit ils se battent contre l’injustice, soit ils deviennent injustes.