[Reportage] Stationnement à Dakar : Ces bâtons dans les roues des automobilistes

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Le plus petit mètre étant payant au centre-ville de Dakar, les automobilistes tournent alors en rond. Pour stationner, la plupart déboursent entre 500 et 2000 FCfa au profit d’une agence exploitante ou de jeunes particuliers. De la méfiance et des disputes à longueur de journée, notamment quand il s’agit de « laisser la clé du véhicule à un inconnu ».

Reportage : Demba DIENG

Ciel nuageux, air frais balayant tout objet léger sur son passage, le climat est agréable en cette fin de matinée de mi-décembre au centre-ville de la capitale sénégalaise. La place de l’Indépendance est plus animée que d’habitude. C’est déjà l’ambiance des fêtes de fin d’année. Guirlandes et jeux de lumière enjolivent les devantures des boutiques, agences de commerce, pâtisseries et grands restaurants. Les passants, focus sur leurs préoccupations, ne manquent pas d’apprécier le décor enchanteur de l’ancienne place Protêt. Les visiteurs qui ont fini d’occuper tous les bancs publics apprécient le cadre tout en discutant, y allant, par moments, de rires retentissants. Tout autour, ça bouge. Les jeunes tailleurs ambulants, machines à l’épaule, claquent les ciseaux et les cireurs tentent d’attirer les clients à leur manière. Les marchands à la sauvette, quant à eux, brandissent jouets pour enfants et habits, prêts à saisir la moindre opportunité. « Il faut penser à rendre heureux les enfants pendant les fêtes », s’amuse un vieux vendeur de ballons gonflables.

Dans cette ambiance de fête, les automobilistes ne sont pas à la fête. Certains manœuvrent pour déboucher sur l’avenue Léopold Sédar Senghor, ex-Roume de Dakar. La tâche est ardue. À coup de klaxons et d’interpellations, ils essaient de se frayer du chemin. Ce n’est pas si facile devant des chauffeurs qui font le créneau pour stationner sur l’un des parkings. Le regard sur le rétroviseur, Amadou Tall manie le volant tantôt à gauche, tantôt à droite. Il ne fait que suivre les indications d’un jeune homme de forte corpulence au gilet bleu sur lequel on peut lire « Société dakaroise immobilière et d’habitation » (Sdih). Après avoir mis le véhicule entre deux plots de délimitation, le conducteur prend le soin de tout verrouiller. Élégant dans son costume bleu, il remet un billet de 2000 FCfa ainsi que les clés de la voiture à l’agent. Sans recevoir de reçu ni aucun papier attestant un paiement, il s’empresse d’entrer dans l’une des banques de la place. La porte d’une interview avec le jeune homme est ainsi ouverte. « En dehors des espaces réservés au ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur et ceux de La Banque agricole, nous gérons presque tout le reste », informe le préposé au stationnement.

Entre 500 et 2000 FCfa par jour

À en croire notre interlocuteur qui ne souhaite pas dévoiler son nom, le tarif pour se stationner tourne autour de 500 FCfa pour environ une à deux heures. Si c’est pour toute la journée, la somme peut aller jusqu’à 2000 FCfa. D’après lui, une réglementation claire est mise en place, car, dit-il, tout automobiliste est obligé de remettre ses clés à l’agent qui le gère tout en fournissant des informations, telles que son numéro de téléphone, son nom, la marque du véhicule… « Avec le temps, je connais presque tous ceux qui garent ici. Je me charge de leur trouver un espace. Et s’ils le souhaitent, je peux même laver le véhicule », révèle le colosse.

Pour ce qui est de son revenu mensuel et de la convention d’exploitation, il ne veut pas du tout en parler et appelle un certain Abdoulaye. Le monsieur au corps svelte enveloppé dans un uniforme bleu presse le pas. Il a une dizaine de clés de véhicule dans les mains. Informé sur l’objet de notre visite, il renvoie la balle à son collègue. « Tu sais que nous ne sommes pas habilités à parler ; le mieux, c’est d’aller voir le directeur, M. Choupin », conseille-t-il, indiquant un immeuble abritant plusieurs banques. « Il est au rez-de-chaussée », ajoute Abdoulaye.

Certains automobilistes s’alignent à contrecœur

Au cœur de la ville, le plus petit mètre est rentabilisé. C’est le business. Il n’y a pas de sentiment. Les automobilistes sont obligés de débourser, même à contrecœur. Après avoir remis 2000 FCfa à un agent de la Sdih, Mamadou Diop se dirige vers un hôtel situé dans les parages. « À force de payer, je ne me plains plus. En tout cas, le gestionnaire se fait de l’argent. Plusieurs centaines de véhicules qui déboursent entre 500 et 2000 FCfa, c’est beaucoup. Nous sommes obligés, car n’ayant nulle part où nous garer. Nous sommes forcés de nous plier à leurs règles », reconnaît-il. Fraîchement descendu de sa Peugeot 308, Ousmane Niang abonde dans le même sens. Le centre-ville, soutient-il, est un calvaire pour les véhiculés. « Le seul espace disponible, c’est la chaussée. Tout le reste est payant. Si tu travailles à côté, tu es obligé de t’abonner pour près de 30 000 FCfa le mois, voire plus. Il n’y a pas de solution, car nous ne pouvons pas prendre le taxi tous les jours. Nous n’avons pas le choix, nous devons donc payer », lâche-t-il dépité.

Alassane Ndir, lui, se demande qui a autorisé cette exploitation et où passe l’argent. Le chauffeur de taxi ne cesse de compter le nombre de véhicules qui paient. « Les agents accueillent constamment des véhicules moyennant des billets de banque. Si tu tardes à payer, des sabots seront posés sur ta voiture par les agents de la mairie », révèle-t-il devant son véhicule, la cigarette coincée entre les doigts.

En remettant sa clé à un des agents dont les longues salutations témoignent d’une grande affinité, Ousseynou lance quelques piques. « Vous me prenez beaucoup d’argent finalement », rigole-t-il. Cependant, il se plaint moins que les autres. « C’est la capitale, un tout petit espace pour des millions de personnes. Je comprends bien ce système. Au début, j’allais au clash jusqu’à ce que je tombe sur un des agents avec qui je m’entends très bien. Il garde les clés et lave même le véhicule. En plus, il est sérieux », dit Ousseynou tout sourire.

Pas à l’abri des conflits

Il a fallu du temps à Mamadou Diop pour accepter ce système. Au début, c’était une semaine de disputes, de contestations et de protestations. Pour lui, c’était inacceptable de laisser la clé de son véhicule à des inconnus. « Le premier jour, j’ai payé 2000 FCfa afin de pouvoir emporter mes clés avec moi », raconte-t-il. Ne pouvant plus continuer à débourser tous les jours cette somme, il a fini par tisser des relations de confiance avec un des agents qui se charge de garder les clés et de nettoyer le véhicule. «  Je paie 500 FCfa par jour, sauf le week-end. Ce sont de lourdes charges quand même », souligne-t-il. Les conflits sont fréquents, selon Ibrahima Fall, un vendeur de café. Le bonhomme a souvent été témoin de scènes de disputes entre des jeunes et des automobilistes. « Certains disent niet. Ils ne pensent pas payer 2000 FCfa ou laisser leurs clés à des inconnus ; ce qui entraîne souvent des disputes. J’ai vu certains automobilistes rebrousser chemin à la suite de menaces de mise à sabot de la voiture », témoigne-t-il.

L’agence concurrencée par d’autres jeunes

Il n’y a pas que les agents de la Sdih à la place de l’Indépendance. D’autres particuliers rôdent également autour. Ces deux groupes sont différenciés par le pouvoir de sanction. Ceux qui n’appartiennent pas à la Sdih ne peuvent pas solliciter les agents pour obliger les automobilistes à payer, selon Amath Nguet. « Les agents de Sdih travaillent avec la mairie. Nous, nous travaillons pour notre propre compte. Nous profitons des espaces disponibles pour recevoir les automobilistes moyennant 500 FCfa ou plus », précise-t-il. D’après ce jeune homme, il faut forcément que le chauffeur lui laisse les clés pour qu’ils aient la possibilité de déplacer le véhicule en cas de besoin. « S’il y a une place disponible, je reçois un automobiliste. J’essaie de récupérer la clé et de recueillir ses informations dont le numéro de téléphone. Sachant que l’espace ne m’appartient pas, je déplace le véhicule si le gestionnaire du parking en question m’interpelle. Par la suite, j’entre en contact avec le propriétaire de la voiture afin qu’il puisse me localiser. En résumé, nous exploitons les places disponibles en attendant l’arrivée des ayants droit », indique Amath.

Ainsi, ces jeunes peuvent glaner, chacun, près de 10 000 FCfa en une journée. « Si un automobiliste refuse de nous remettre la clé, on le menace d’immobiliser sa voiture par un sabot alors qu’au fond de nous, nous savons que nous n’avons pas ce pouvoir », dit-il en riant.

Silence radio à la Sdih et à la mairie de Plateau

« C’est nous qui gérons le parking », précise le chargé de la Logistique de la Société dakaroise immobilière et d’habitation (Sdih), Léon Choupin, nous donnant rendez-vous dans une semaine pour un entretien. Trouvé le jour convenu à son bureau, une pile de documents sous les yeux, il nous renvoie vers la secrétaire qui, non plus, ne souhaite nullement aborder la gestion du parking en profondeur. « Si c’est pour une interview, c’est impossible pour le moment », lâche-t-elle, retournant à son activité. Pour ce qui est de la gestion municipale, trois visites en une semaine n’ont pas permis d’avoir un interlocuteur à la mairie de Dakar Plateau. En l’absence du responsable, Seydou Camara, pour les besoins d’un séminaire et d’autres motifs, son proche collaborateur, Frédéric Mendy, n’a pas voulu parler à sa place. « Il n’est toujours pas là et je ne peux pas vous donner son contact. Je ne peux non plus l’appeler pour vous le passer », répond-il à chaque fois.

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