Yasmine, infirmière en région parisienne: «Le plus dur, c’est l’impuissance face aux familles»

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Ils sont en première ligne face au coronavirus : des infirmiers du monde entier témoignent tout au long de la semaine sur RFI. Premier volet avec Yasmine, jeune diplômée, elle fait ses premières armes aux urgences d’un hôpital public près de Paris.

À vrai dire, elle se trouve plutôt chanceuse. Diplômée l’année dernière, Yasmine, 24 ans, a pris son poste d’infirmière aux urgences de l’hôpital Jean-Verdier de Bondy, en région parisienne, quelques mois avant l’arrivée du Covid-19. Quelques mois d’expérience « qui changent tout » face au chamboulement que connaissent les hôpitaux depuis le début de la crise. 

 « Je travaille dans un petit service d’urgences, explique-t-elle. On n’a pas l’habitude d’avoir autant de déchoquages, c’est-à-dire de prises en charge de personnes en situation d’urgence vitale. Avant le Covid-19, on pouvait passer une semaine sans en avoir. Mais au plus fort de la crise, on intubait trois ou quatre personnes par jour. Il y avait aussi beaucoup plus de décès. »

« En rentrant chez nous, on pleure, on vomit » 

Yasmine se remémore les réanimations de plus de quarante-cinq minutes réalisées par son équipe sur des personnes jeunes, à qui les soignants voulaient « absolument redonner une chance. » « Quand on rentre chez nous, on pleure, on vomit et on sait qu’il faut être en forme pour le lendemain, parce que ça recommence et que d’autres personnes doivent aussi avoir leur chance », confie la jeune infirmière. 

Elle a encore la gorge nouée lorsqu’elle repense à certains patients qu’il n’a pas été possible de sauver. « C’était une dame de 50 ans. En raison du grand nombre d’appels, le Samu a mis beaucoup de temps à arriver chez elle. Lorsque les ambulanciers l’ont amenée aux urgences, ils étaient en panique. La dame était en détresse respiratoire, elle étouffait, c’était terrible de la voir comme ça. Il y a des morts plus douloureuses que d’autres ». Il n’a pas été possible de la sauver.

À la souffrance des victimes s’ajoute la détresse de leurs proches, particulièrement en pleine période de confinement. « Le mari de cette dame ignorait tout de son état, car il avait l’interdiction d’entrer dans l’hôpital. Il attendait sur le parking. Lorsqu’il a appris son décès, on l’a entendu crier. C’était terrible pour nous, les urgences sont juste en face du parking. Cet homme a vu sa vie basculer. Moins d’une heure avant, il était encore assis dans son salon avec sa femme », raconte Yasmine. « Les malades du Covid-19 meurent souvent étouffés. Ils ne partent pas sereinement et leur famille le sait. On ne pouvait même pas proposer à ce monsieur de voir son épouse, puisque c’est interdit. On ne pouvait pas lui dire qu’il allait pouvoir faire une belle cérémonie pour elle, qu’il serait entouré de ses proches, puisque ce n’est pas possible en période de confinement. On sait que ces personnes seront seules dans leur détresse et que le deuil va être très difficile. Quand je suis rentrée chez moi, j’étais bouleversée. On se sent impuissant. » 

Yasmine tente de ne pas « ramener ça à la maison ». Elle vit avec sa sœur – elle aussi infirmière – et ses parents. Au début de la pandémie, elle a vu beaucoup d’inquiétude dans les yeux de sa famille, avant d’y apercevoir, aussi, de la fierté. Les applaudissements à 20h ? « Ils ont mis du temps à arriver ! On habite dans une petite ville de Seine-et-Marne (77). Personne n’applaudissait au début. Ce sont mes parents qui ont lancé le truc : ils m’accueillaient le soir en tapant sur des casseroles ! », sourit-elle. « Les voisins se sont alors rappelés qu’on était infirmières et ils s’y sont mis. On ne va pas se mentir, c’est sympa quand on rentre du boulot d’avoir tout le monde qui applaudit dans le quartier ! » 

Chaque infirmier à son petit rituel pour protéger ses proches d’une possible contamination. « Au début, je me déshabillais de la tête aux pieds dans mon entrée, je mettais mes affaires dans un sac que je ne touchais plus pendant quarante-huit heures, avant de tout mettre dans la machine, détaille Yasmine. Je montais immédiatement me laver entièrement. Les cheveux, tout. Ça me permettait aussi de me laver de ce que j’avais vu dans la journée. Peu à peu, j’ai commencé à abandonner ce rituel car, comme toutes les maladies, on commence à s’habituer, à en avoir moins peur. »

L’infirmière souligne aussi l’importance des petites attentions qui égayent le quotidien des soignants depuis plusieurs semaines : ceux qui amènent de la nourriture, des mots de soutien, des dessins d’enfants, les peintres qui font don de surblouses à son hôpital. Elle souhaite que des leçons soient tirées de cette crise : « J’espère que l’État prendra conscience de ses erreurs et que l’hôpital public va aller mieux. Il a été délaissé. Mes collègues plus âgées ont perdu espoir. Moi, j’ai encore espoir ».

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