L’Amérique latine face au coronavirus

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En Amérique latine, le coronavirus touche un continent déjà fragilisé par de graves difficultés économiques et par une nouvelle hausse des inégalités qui comptent parmi les plus fortes au monde. L’épidémie exacerbe aussi les tensions politiques omniprésentes après des élections contestées et l’irruption de mouvements sociaux massifs dans plusieurs pays latino-américains. Certains pouvoirs et forces politiques ne résistent pas à la tentation de tirer profit de la situation inédite qu’impose la pandémie. Les différentes réponses à la crise sanitaire, souvent teintées des idéologies dominantes du moment, renforcent la méfiance de la population et risquent de ce fait d’affaiblir l’efficacité de la lutte contre le virus.

Bolivie: le coronavirus joue les prolongations et l’endurcissement d’un gouvernement provisoire contesté

Depuis l’automne dernier, la Bolivie est en ébullition. La dernière élection présidentielle très décriée du 20 octobre 2019 a été suivie par de violentes émeutes et le départ forcé en exil d’Evo Morales, le chef de l’État socialiste sortant qui avait tenté en vain de se maintenir à la présidence après 13 ans au pouvoir. Comme le veut la Constitution, le vide institutionnel est rempli par un gouvernement provisoire. Cette équipe de droite, avec à sa tête la présidente par intérim Jeanine Añez, dirige d’une main de fer la Bolivie depuis six mois et est loin de faire l’unanimité dans un pays où la polarisation idéologique bat son plein. La crise politique aurait dû trouver son issue lors de nouvelles élections, présidentielle et législatives, prévues le 3 mai 2020. Mais le coronavirus en a décidé autrement.

Les deux premiers malades du Covid-19 sont dépistés en Bolivie, le 10 mars dernier. Le 21 mars, le Tribunal suprême électoral décide de reporter les scrutins sine die en raison de l’épidémie. La majorité des huit candidats à la présidence avaient appelé à ce report, faute de pouvoir mener campagne. En revanche, les deux favoris des sondages s’y étaient opposés : Luis Arce, candidat du Mouvement vers le Socialisme (MAS, le parti d’Evo Morales), et l’ex-président Carlos Mesa qui avait été le principal adversaire d’Evo Morales lors du scrutin d’octobre dernier.

Quatre jours après l’annonce de l’institution électorale, la présidente par intérim décrète l’état d’urgence sanitaire. Jeanine Añez est elle-même candidate à l’élection présidentielle mais ne se trouve jusqu’à présent qu’en troisième place des intentions de vote. Le document signé par la chef de l’État stipule un confinement très strict de la population (seule une personne par famille a le droit de sortir chaque jour), la fermeture des frontières et le déploiement de l’armée et de la police. Mais ce n’est pas tout : afin d’enrayer l’épidémie du Covid-19, les personnes qui « désinforment ou créent de l’incertitude au sein de la population » seront désormais « passibles de poursuites pénales pour délits contre la santé publique », avec des peines de un à dix ans de prison.

À partir de l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire en Bolivie, le 26 mars, le gouvernement de droite par intérim met 67 personnes en examen. Fin avril, 37 d’entre elles sont déjà condamnées, alerte Amnesty International. Toutes ont critiqué la gestion de la crise sanitaire par les autorités provisoires. « Sous prétexte de lutter contre le Covid-19, le décret de Jeanine Añez présente un sérieux revers pour la liberté d’expression en Bolivie », fustige de son côté l’organisation Human Rights Watch. Le 12 avril, la Commission interaméricaine des droits de l’homme demande même au gouvernement intérimaire de retirer le texte.

En Bolivie, la colère gronde. Les électeurs et sympathisants de l’ex-président Evo Morales organisent d’assourdissants concerts de casseroles pour réclamer la tenue des scrutins dans les plus brefs délais. Ils soupçonnent le gouvernement de droite de vouloir repousser le vote jusqu’à l’année prochaine et de sévir entre temps contre les opposants. Fin avril, le Tribunal suprême électoral propose que les élections se tiennent entre le 28 juin et le 27 septembre. La loi pour la convocation des scrutins est adoptée par les deux chambres du Parlement où le MAS, le parti d’Evo Morales, détient la majorité. Le texte stipule que les élections doivent se tenir dans les 90 jours à partir du 3 mai 2020. Pour entrer en vigueur, il doit être promulgué par la présidente par intérim

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