Irène Salenson: «Seulement 40% des Africains vivent en ville»

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Depuis 1960, l’Afrique connaît une forte croissance urbaine. 4% par an en moyenne entre 1960 et 2010. Des mégapoles comme Lagos et Kinshasa compteront plus de 20 millions d’habitants en 2030…

Les villes africaines vont-elles exploser ? Irène Salenson, urbaniste et chargée de recherche à l’AFD, se pose la question.
 
Alexis Guilleux : « Les villes africaines vont-elles exploser ? », c’est le titre de l’article que vous publiez. Quand on voit les chiffres de la croissance urbaine en Afrique des dernières décennies, est-ce que cette explosion n’a pas déjà eu lieu ?
 
Irène Salenson : C’est vrai qu’il y a une forte croissance urbaine en Afrique depuis longtemps. Mais on a choisi ce titre – avec un point d’interrogation – parce que le terme d’explosion est un peu fort. Donc, on a voulu dire qu’il ne fallait pas forcément avoir peur et que ce n’était pas forcément grave. Parce qu’en fait, pour l’instant, la majorité de la population habite encore à la campagne en Afrique. À peu près 40% de la population habite en ville, seulement. Si on regarde par exemple les villes de plus d’un million d’habitants, il y a 41 villes de plus d’un million d’habitants en Afrique en 2015, alors qu’il y en a 115 en Europe. Pour l’instant, l’Afrique n’est pas aussi urbanisée que les autres régions du monde et c’est un processus de rattrapage.
 
Vous démontez aussi une idée reçue : celle de l’exode rural. Il n’y a pas d’exode rural africain ?
 
Il y a peu d’exode rural africain. On ne peut pas dire qu’il n’y en a pas du tout. Mais ce n’est pas cela qui alimente principalement la croissance urbaine. Aujourd’hui, la croissance des villes en Afrique, elle est due seulement pour un tiers à l’exode rural et pour deux tiers, elle est due aux naissances d’enfants de citadins. C’est vrai en particulier pour les pays du Sahel. Et ce qui fait que ce n’est pas l’exode rural qui alimente la croissance urbaine, c’est qu’en fait, il y a beaucoup d’anciens villages qui sont en train de devenir des villes. Donc, c’est vraiment une croissance sur place.
 
L’un des enjeux de cette urbanisation en Afrique pour les prochaines années, pour les prochaines décennies, c’est la gestion des quartiers les plus pauvres, les bidonvilles. Comment les intégrer aux grandes villes africaines de demain ?
 
Il y a eu souvent une illusion que, grâce au développement, ces quartiers pourraient disparaître. C’est peu probable. Il faut plutôt ne pas stigmatiser ces quartiers. Il y a souvent des activités économiques et des services qui se développent. Donc, il ne faut pas considérer que la solution serait de les démolir. Il y a encore un certain nombre de gouvernements africains qui pensent que ces quartiers sont peuplés, par justement, des migrants qui viennent de l’exode rural et qui souhaiteraient que ces personnes retournent à la campagne. Ce sont des stéréotypes et donc, il conviendrait plutôt de les intégrer. Cela veut dire d’abord ne pas les stigmatiser et ensuite, faciliter les liens avec la ville formelle, principalement en développant les réseaux et les équipements publics, donc les raccorder aux routes, les raccorder aux transports en commun, les raccorder aux réseaux d’assainissement, d’eau, d’électricité, de les normaliser.
 
Mais à toutes ces questions d’infrastructures de transport, d’assainissement, est-ce que c’est possible dans les pays les plus pauvres ?
 
Oui, ça, c’est évidemment un gros sujet. C’est sûr que dans les pays les plus pauvres, les gouvernements n’ont pas les moyens de faire face, encore une fois, à la rapidité de cette croissance et à fournir des services publics et des infrastructures correspondantes. Ce que les agences de coopération internationale recommandent, c’est de travailler sur l’amélioration des ressources des autorités publiques. Ça passe par une amélioration de la fiscalité, cela passe aussi par le recours à d’autres types de financement et notamment l’emprunt. Cela passe parfois par l’aide internationale, cela passe par la mobilisation du secteur privé.
 
Face à cette grande et forte urbanisation, plusieurs pays ont tenté de construire des villes nouvelles. Est-ce que vous avez déjà quelques exemples ?
 
Le premier pays qui a construit des villes nouvelles sur le continent africain, c’est l’Égypte. Ensuite, le pays qui en a construit aussi un certain nombre, c’est le Maroc. Et plus récemment, on voit aussi apparaître des villes nouvelles dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne : Nigeria, Burkina Faso, Angola, etc. Le gros challenge, c’est de construire des villes qui offrent à la fois du logement et de l’emploi. Ce sont des villes qui seraient autonomes et qui éviteraient la congestion des très grandes villes. Mais, s’il n’y a pas suffisamment d’emplois, ça ne fonctionne pas. Et on connaît un certain nombre de cas où finalement les villes nouvelles ne sont pas occupées autant que les plans l’avaient prévu. Sinon un autre problème, c’est d’avoir une mixité sociale dans ces villes nouvelles. On a des cas où les villes nouvelles en fait se gentrifient, en fait elles sont réservées aux classes aisées alors qu’elles avaient un objectif de mixité sociale. Et on a d’autres cas où s’il n’y a pas suffisamment d’emplois ou si elles ne sont pas assez attractives, les classes aisées et les classes moyennes disparaissent. Et finalement, ces villes nouvelles se paupérisent. Elles deviennent aussi des ghettos pauvres.
 
On a une idée, une estimation du nombre de logements qu’il faudra dans les années à venir en Afrique ?
 
On estime les besoins à 4 millions de logements supplémentaires chaque année. C’est évident que ce chiffre ne pourra pas être atteint par les autorités publiques. Même en Europe on n’arrive pas à produire autant de logements sociaux sans l’aide du secteur privé. Ce n’est pas possible

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