Ennemi prioritaire de la France et du G5 Sahel: Comment l’ex-EIGS en est arrivé là…

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Le sommet de Pau a consacré la nouvelle priorité des pays du G5 Sahel et de la France contre les groupes terroristes qui sévissent au Sahel. Emmanuel Macron et ses homologues sahéliens sont unanimes : le groupe qui mérite toute leur attention, c’est l’ex-EIGS. « Pour atteindre cet objectif, nous changeons la méthode en mettant en place une coalition militaire avec un commandement conjoint entre la Force Barkhane et la force conjointe du G5 Sahel en concentrant nos efforts sur cette zone », a annoncé le président français, Emmanuel Macron.

Cette focalisation sur la branche sahélienne de l’État islamique se justifie par les attaques d’envergure qu’il a menées contre les armées du Mali, du Niger et du Burkina Faso dans le fuseau centre dit la zone des trois frontières. Son allégeance reconnue 16 mois après sa naissance, l’Etat islamique dans le Grand Sahara s’est fait remarquer en menant des attaques dans le nord du Burkina Faso.

Début difficile

C’est à Markoye qu’Adnan Abou Walid As Sahraoui et ses affidés se sont signalés pour la première fois le 1er septembre 2016 en attaquant un poste de douane. Un douanier et un civil sont tués. La revendication de cette attaque est publiée par le site mauritanien Alakhbar.info. En octobre 2016, la « baya » (allégeance) du groupe est timidement acceptée par l’EI, en difficultés en Syrie et en Irak. L’ancien porte-parole du Mouvement pour l’Unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et ses partisans poursuivent leurs actions sans être considérés comme une province.

Pendant ce temps, l’ex-Boko Haram connaît une scission après que l’État islamique a destitué Abubakar Shekau pour « extrémisme » et intronisa le fils du fondateur du groupe insurgé nigérian, nouveau gouverneur. Avec l’appui du commandement central, la province de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (PEIAO) parvient à se relever des pertes des territoires qu’il contrôlait en 2015, sous la direction de Shekau.

Lentement mais sûrement, la PEIAO revient en force en multipliant les attaques contre les forces armées nigérianes. Courant 2019, elle a connu un nouveau « wali » en la personne du très mystérieux Abou Abdullah Ibn Umar Al-Barnaoui. Son arrivée coïncide avec la radicalisation de la PEIAO qui épouse de plus en plus les méthodes de l’Ei en Syrie et en Irak. 

Le groupe aurait été bonifié par le retour de jihadistes nigérians ayant séjourné en Libye au moment où l’Ei régnait en maître dans des groupes comme Syrte. Selon le spécialiste de la propagande militaire de l’EI, Matteo Puxton, « ça commence avant la chute de Syrte (été 2016) et ça se poursuit jusqu’à 2019 au moins effectivement. Mais les effets se font sentir dès l’été 2018 quand la PEIAO attaque les bases nigérianes du Borno ».

2019, année meurtrière pour les armées sahéliennes

S’il n’est pas formellement établi qu’il a bénéficié du même appui, force est de reconnaître que depuis mars 2019, l’EIGS est intégré dans la Province de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest. 

Depuis lors, ces revendications sont faites au nom de la PEIAO.

Cette année a été mise à profit par l’ex EIGS pour sophistiquer ses attaques contre les armées locales. Ainsi, en août 2019, le détachement de l’armée burkinabé à Koutougou est attaqué. Des hommes venus à motos et à bord de Pick-up ont mené cet assaut qui s’est soldé par la mort de 24 soldats burkinabé. L’attaque est revendiquée par la PEIAO.

Le samedi 26 octobre, le calife autoproclamé de l’EI, Abu Bakr al Baghdadi est tué dans une opération menée à Idlib, en Syrie, par des forces spéciales américaines. Un coup dur pour le groupe terroriste qui perd en même temps son porte-parole Abou Hassan al Muhajir.

Mais l’EI n’a pas perdu de temps pour remplacer son calife. Abu Ibrahim al Hachemi al Quraschi reprend les rênes du groupe et reçoit les allégeances des différentes provinces de l’État islamique. Exercice auquel ne manque pas l’ex EIGS. Les images du renouvellement de son allégeance sont diffusées le 09 novembre.

Dans la foulée, une sanglante attaque se produit à Indelimane, près de Ménaka, dans la zone des trois frontières. L’armée malienne compte au moins 49 pertes dans cet assaut d’une rare violence.

L’ex EIGS remet ça le 10 décembre en attaquant l’armée nigérienne, à Inates. Le bilan est sans appel : 71 morts coté amis. Cette attaque qui rappelle bien celle de Lemgheyti en 2005, qui a accéléré la mutation du GSPC en AQMI, a eu pour conséquence le report du sommet de Pau au 13 janvier alors qu’il devait se tenir initialement le 16 décembre. La PEIAO revendique cette attaque.

Un peu moins de deux semaines après, un poste militaire d’Arbinda, dans la province du Soum est pris d’assaut par des hommes armés. Mais contrairement aux précédentes attaques, l’armée burkinabé repousse ce raid qui sera meurtrier pour les assaillants selon l’Etat major qui ne déplore que 07 morts parmi les militaires tandis qu’une quarantaine de jihadistes sont tués. Seulement, dans leur fuite, les terroristes ont tué 35 civils dont 31 femmes. Une action qui s’apparenterait à une vengeance car ils soupçonneraient les civils de collaborer avec les forces de sécurité et de défense.

Le 9 janvier dernier, la base avancée nigérienne de Chinegodrar, qui se trouve dans le sud-ouest, à 10 kilomètres du Mali, a été prise pour cible par des hommes armés. Dans un premier temps, le bilan fait état de 25 morts dans les rangs de l’armée alors que les insurgés se seraient retrouvés avec 63 cadavres. Mais quelques heures après, le nombre de victimes, coté amis, est revu à la hausse. Au lieu de 25, c’est maintenant 89 soldats qui ont perdu la vie à l’occasion de cette attaque. Aussi, le gouvernement nigérien attribue cette action à des « terroristes lourdement armés ».

Dans cette guerre, les forces armées américaines et françaises déployées au Sahel ont aussi payé le prix fort. A Tongo-Tongo le 04 octobre 2017, l’ex-EIGS a tendu une embuscade à une patrouille de militaires nigériens et américains. Les combats feront 4 victimes coté américain alors que 5 soldats nigériens y ont trouvé la mort. Ce fait d’arme a valu à Adnan Abu Walid As Sahraoui d’être inscrit dans la liste rouge des terroristes recherchés par les Etats-Unis. Il doit aussi être dans le viseur des français même si certaines rumeurs le disent mort ou enlevé par un groupe rival. L’État a affirmé avoir provoqué le 27 novembre dernier la collision de deux hélicoptères qui a tué 13 soldats de l’opération Barkhane. Cet accident s’est produit dans le nord est du Mali.

C’est là autant de faits qui placent la filiale sahélienne de la l’Etat islamique dans le collimateur des Etats du G 5 Sahel, de la France et des Etats-Unis. Un statut que semble assumer le groupe qui, au lendemain du sommet de Pau, a publié le communiqué revendiquant l’attaque de Chinegodrar. Le même jour, un reportage photo de plus de 30 images illustre l’attaque du camp. À cette démonstration de force s’ajoute la publication d’une vidéo montrant un tir de roquettes, de nuit, filmé en jumelles de vision nocturne, sur Arbinda au Burkina, qui a eu lieu apparemment dans la nuit du 7 au 8 janvier.

C’est le commandement central de l’EI qui tient les manettes

Quelques jours plus tôt, précisément le 10 janvier, l’Etat islamique a diffusé pour la première fois sur ses canaux de propagande une vidéo de la PEIAO qui fait l’historique de la branche sahélienne, l’ex-EIGS. La vidéo a été analysée par Matteo Puxton (Historicoblog4 sur Twitter), spécialiste la propagande militaire de l’EI.

Ce montage, qui dure plus d’une demi-heure, confirme si besoin était que l’EI a resserré son contrôle sur l’ex-EIGS, y compris en termes de propagande – il réincorpore d’ailleurs dans cet ensemble tous les documents autonomes produits auparavant par l’ex-EIGS.

En outre, l’EI montre toutes les attaques importantes de l’année 2019, de l’embuscade dans la région de Tongo Tongo et du raid sur la prison de Koutoukalé en mai 2019 à la deuxième attaque de la base d’Inatès en décembre 2019. Certaines images comme l’assaut de la base de Koutougou au Burkina ou la deuxième attaque de la base d’Inatès n’avaient jamais été diffusées par le groupe auparavant.

Pour Matteo Puxton, le message est donc très clair : l’EI entend montrer qu’il est présent au Sahel, qu’il a repris le contrôle de l’ex-EIGS en l’intégrant dans la PAOEI comme cela était visible dans sa propagande depuis mars 2019.

« L’ex-EIGS cherche à « faire le vide » dans la zone des 3 frontalières »

« Sur le plan militaire, poursuit le spécialiste de la propagande militaire de l’EI, le groupe a développé son outil en 2019 : aux attaques de bases impliquant combattants portés en motos et pick-up armés (technicals) sont venus s’ajouter les véhicules kamikazes en ouverture de ces assauts, les feux indirects (tirs de roquettes de 122 mm sur affûts artisanaux, comme la la branche nigériane l’avait fait à partir de février 2019) et fantassins de mieux en mieux armés ressemblant de plus en plus aux inghimasiyyoun (troupes de choc avec ceintures d’explosifs, pas encore présentes au Sahel mais apparues au Nigeria en avril 2019 ) ».

A l’en croire, « ces améliorations militaires, tout comme la connexion rétablie avec la propagande et l’appareil central de l’EI, sont peut-être en partie le fait de la présence de Nigérians dont on devine pour la première fois la présence dans les documents publiés par le groupe après l’attaque d’Indelimane (novembre 2019) ».

Dans tous les cas, poursuit-il, la stratégie impulsée est évidente : comme au Nigeria entre juillet 2018 et début 2019, l’ex-EIGS cherche à « faire le vide » dans la zone des 3 frontalières, en éliminant les installations militaires pour se créer un sanctuaire, tout en appuyant sur le sentiment anti-français qui se développe sur place et en insistant sur l’échec de Barkhane et les pertes infligées à l’opération – le groupe répétant encore, contre vents et marées, être responsable de la mort des 13 soldats français tués dans la collision de 2 hélicoptères.

Des messages à déchiffrer et auxquels des réponses adaptées doivent être apportées pour le retour de la sécurité dans cette région.

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